9. Que nous enseignent les audits organisationnels sur la gestion des enseignants ?

L'efficacité des enseignants est intimement liée à leur motivation, et cette dernière est influencée par la façon dont ils sont gérés. Une gestion inadéquate peut conduire les enseignants et les gestionnaires d'enseignants à adopter des comportements qui influent sur leur distribution et sur leur utilisation, ayant des effets négatifs sur l'efficacité et la qualité des systèmes d'éducation. La gestion des enseignants est influencée par son cadre organisationnel, c’est-à-dire les structures, les règles et les procédures, les outils, le personnel de gestion, la communication et le dialogue social. 

Structures

Analyser les structures de gestion, en évaluant leurs mandats et attributions (Sack et Saïdi, 1997), permet d’identifier la part de contrôle opérationnel du Ministère de l’Education sur les fonctions importantes concernant le personnel du secteur de l'éducation. Au niveau national, le Ministère de l’Education n’est pas le seul à être impliqué dans la gestion des enseignants et au sein même du ministère, plusieurs structures jouent un rôle, comme la direction des ressources humaines, la direction des enseignements primaires/secondaires, et du service de la planification. En outre, les commissions des enseignants (Teaching Service Commission) sont chargées du recrutement des enseignants en Afrique anglophone. La diversité des structures peut engendrer des problèmes de coordination, si les attributions de chacun et leurs articulations ne sont pas clairement définies. Un exemple parlant est celui de la gestion de la paie des enseignants (VSO, 2002). Dans certains pays, les enseignants nouvellement recrutés doivent attendre pour figurer sur la liste de la paie et connaissent ensuite de nombreux retards de paiement, comme au Ghana, où jusqu’à 50% des enseignants interviewés dans les écoles rurales disent ne pas être payés en temps et en heure (VSO, 2002). Par ailleurs, le mandat limité des ministères de l’éducation dans le domaine des ressources humaines réduit leur autonomie et leur capacité à concevoir et à mettre en œuvre des stratégies de gestion des enseignants efficaces. Ainsi, au niveau central et ministériel, les ministères contrôlent rarement le dispositif des récompenses et des incitations appliqué aux enseignants, souvent commun à tous les agents de l’administration publique. Au niveau décentralisé, la formulation et distribution inadaptées des missions et des tâches attribuées et le manque de ressources peuvent limiter la capacité du personnel à intervenir efficacement dans la gestion des enseignants. Si de nombreux pays ont entrepris des réformes introduisant la décentralisation des tâches de gestion des enseignants, elle se fait souvent sans un cadre clair de délégation de compétences et des ressources nécessaires.

Règles et procédures

Pour comprendre les opérations d'un Ministère de l'Education il faut « une description claire du réseau des procédures, des règles et de la réglementation (PRR) en vigueur » (Sack et Saïdi, 1997 : 42). Les PRR régissent généralement des aspects administratifs du comportement d’un Ministère de l’Education Nationale, par exemple « qui (…) a le pouvoir formel (…) pour autoriser, approuver ou recommander des dépenses, les frais de déplacement, les congés, les mutations, les promotions du personnel (…) » (Sack et Saïdi, 1997: 42). L’analyse des PRR et de leurs implications se concentre notamment sur la cohérence interne et l’homogénéité, la connaissance et le respect. Parmi les difficultés fréquemment constatées, on distingue l’inexistence de règles et/ou absence de diffusion de ces règles, créant « des conflits, des vides du pouvoir, des chevauchements et des duplications d’efforts » dans de nombreuses administrations d’Afrique (Göttelmann-Duret et Hogan, 1998 : 38). L’existence de normes inappropriées ou peu mises en vigueur est également un défi fréquemment rencontré par les administrations relatives à la gestion des enseignants. Par exemple, les normes et critères appliqués aux affectations ou transferts accentuent, dans certains cas, les problèmes plutôt qu’ils ne les règlent. Le manque d’application des codes de conduite des enseignants pose également problème, notamment en termes d’éthique et d’absentéisme. En effet, il faut associer à la question des règles et procédures celle du respect des normes éthiques et des règles de conduites professionnelles. Même quand les règles formelles et les procédures semblent être rationnelles, des « déviances organisationnelles » sont observées dans de nombreux domaines de la gestion des enseignants. Elles faussent le processus de déploiement et de promotion et démotivent les enseignants qui respectent les règles. Lorsque le contournement des règles ou la corruption sont de notoriété publique, et que des sanctions ne sont pas appliquées, cela est susceptible d’entacher la confiance des enseignants dans les structures de gestion. On observe ainsi de nombreux cas de corruption, d’interférences politiques et de favoritisme dans le processus d'affectation des enseignants (VSO, 2002 ; Hallak et Poisson 2006 ; Bennell et Akyeampong, 2007). Les sanctions officielles sont par ailleurs rarement appliquées, comme le montre l’exemple de l’absentéisme en Inde (World Bank, 23 mars 2006). Cela est notamment lié à l’absence d’autorité des directeurs d'écoles (Bennell, 2007) et à la lourdeur et la lenteur des procédures disciplinaires.

Les outils de gestion et de pilotage de la Gestion des Ressources Humaines

Pour être efficaces, les gestionnaires ne peuvent pas se passer d’un système d'information pour la gestion adapté. Selon Sack et Saïdi, « Un MEN peut se caractériser par : la quantité d’informations efficaces qu’il produit ; la qualité de cette information ; sa disponibilité pour les personnes concernées à l’intérieur et à l’extérieur du ministère ; et le temps que met l’information pour être disponible et utilisée » (1997 : 47). Or, malgré des progrès importants au cours des deux dernières décennies, les systèmes d'information efficaces font toujours défaut dans de nombreux pays en développement. Les gestionnaires du secteur éducatif doivent généralement composer avec des bases d'information incomplètes, obsolètes et peu fiables et qui ne sont guère coordonnées entre elles (Göttelmann-Duret et Hogan, 2008). Par exemple, ils connaissent rarement avec précision le nombre d’enseignants en poste, et encore moins leur situation professionnelle et personnelle exacte. La situation est aggravée par l’absence de dispositifs de contrôle efficaces pour vérifier l'exactitude des données recueillies.

Personnels de gestion

Selon Sack et Saïdi, « Le personnel est la ressource la plus précieuse d’un MEN : c’est lui qui (…) détermine l’efficacité et l’efficience de l’organisation. En tenir compte implique d’examiner de près son recrutement et l’adaptation de ses qualifications aux tâches demandées » (1997 : 53). On prend ici en compte les enseignants et le personnel non-enseignant, exerçant des positions pédagogiques et administratives. Une contrainte visible à la bonne gestion des ressources humaines concerne la faible qualité d’une partie du personnel de gestion ainsi que le manque de concordance entre leur profil et les postes occupés. En réalité, ce problème découle de manquements à trois niveaux : les profils des candidats (la majeure partie des agents administratifs est composée d'enseignants et d'inspecteurs), les procédures de recrutement (absence fréquente de vraies procédures, qui imposent l’annonce d’un poste avec un mandat précis) et l’organisation de l’offre des postes (les ministères ont rarement une idée précise du nombre de postes nécessaires dans chaque unité et des critères de qualification requis pour les candidats à ces postes) (De Grauwe et al., 2009).

Communication et dialogue social

Il est souvent noté que des informations importantes n’atteignent pas toujours les enseignants, en particulier dans les écoles qui sont rarement visitées. Les directeurs d’école et les enseignants ne sont pas toujours impliqués dans les consultations. Or, la principale source de démotivation des enseignants est leur manque de participation dans les processus de décision qui les concernent (VSO, 2002). L'implication limitée des enseignants dans les processus de consultation est souvent le résultat de raisons organisationnelles : le manque de temps, des coûts potentiels élevés, l'incertitude de parvenir à un consensus et le risque de démagogie. En outre, les représentants des enseignants n’ont pas toujours leur mot à dire dans les négociations où les donateurs externes sont impliqués (GCE, 2006 : 52). Alors que les avis des enseignants sont cruciaux pour la conception et la mise en œuvre efficace de réformes, la manière dont leur avis doit être recueilli est une question complexe, tant que les modalités peuvent impacter – stimuler ou au contraire, bloquer – un processus de réforme.

 

Bibliograhpie :

Bennell, P.; Akyeampong, K. 2007. Teacher motivation in sub-Saharan Africa and South Asia. Researching the issues n°71. London: DFID.
Chediel, R. W. 2010. Teacher management in a context of HIV and AIDS: Tanzania report. Education in the context of HIV & AIDS. Paris: IIEP-UNESCO.
De Grauwe, A.; Segniagbeto, K.; Maoudi, J.; Hyacinthe, G.; David, O. 2009. Transformer la planification et la gestion de l'éducation au Bénin par le renforcement des capacités: analyser les contraintes, identifier des solutions. Paris: IIEP-UNESCO.
GCE. 2006. Teachers For All: what governments and donors should do. Johannesburg: GCE.
Göttelmann-Duret, G.; Hogan, J. 1998. The Utilization, deployment and management of teachers in Botswana, Malawi, South Africa and Uganda: synthesis report of a sub-regional workshop and four country monographs. Paris: IIEP-UNESCO.
Göttelmann-Duret, G.; Tournier, B. 2008. ‘Crucial Management Aspects of Equitable Teacher Provision’. Background paper prepared for the Education for All Global Monitoring Report 2009.
Hallak, J.; Poisson, M. 2006. Governance in education: transparency and accountability matter. Paris: IIEP-UNESCO.
Sack, R.; Saïdi, M. 1997. Functional analysis (management audits) of the organization of ministries of education. Paris: IIEP-UNESCO.
VSO. 2002. What makes teachers tick? A policy research report on teachers' motivation in developing countries. London: VSO.
World Bank. 2006 (23 March). Teachers and Doctors: Missing In Action. Washington D.C.: World Bank.