Entretien avec l’auteure: "L'enseignement supérieur est confronté à des changements majeurs"

07 Mars 2020

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Photo by Mikael Kristenson on Unsplash

Dans le monde entier, l’enseignement supérieur subit des changements majeurs. Le nombre d'étudiants augmente rapidement, passant de 100 millions en 2000 à plus de 220 millions en 2017. D'ici 2040, les personnes inscrites dans l'enseignement supérieur devraient dépasser les 590 millions. Les profils des étudiants sont plus diversifiés que jamais : un nombre croissant d'étudiants de première génération, d'apprenants à temps partiel, d'étudiants internationaux et de professionnels en activité côtoient les étudiants « traditionnels ». De plus en plus de programmes de formation différents sont également proposés, et la rupture technologique - commune à de nombreux domaines - a radicalement changé le lieu et le moment où les étudiants apprennent. Nous nous sommes entretenus avec l'experte de l'enseignement supérieur de l'IIPE, Michaela Martin, sur les raisons pour lesquelles la flexibilité gagne du terrain sur les campus du monde entier.  

À quoi ressemblera l'enseignement supérieur dans 20 ans ?

Plus d'étudiants, plus de diversité et plus d’opportunités. D'ici 2040, la "quatrième révolution industrielle" sera bien engagée. Pour l'enseignement supérieur, cela signifiera davantage de possibilités basées sur la technologie pour répondre à la demande croissante d'un apprentissage tout au long de la vie et adapté aux besoins de chacun. Afin de permettre aux apprenants de naviguer plus facilement entre les différents types d'offres, les établissements d'enseignement supérieur devront travailler de manière plus intégrée. Ils devront proposer diverses voies d’accès à l'enseignement supérieur et faciliter le passage d'un programme, d'une discipline et d'un établissement à l'autre.

Verra-t-on encore l’étudiant universitaire traditionnel ?

Oui, mais il ne sera qu’un profil parmi beaucoup d'autres. De manière générale, on verra une augmentation du nombre d'étudiants, mais aussi des offres adaptées à leurs différents besoins. Il y aura une plus grande flexibilité en termes de lieux (modes de prestations), de rythmes et de méthodes d'enseignement. Les cours magistraux traditionnels continueront à évoluer vers des approches plus axées sur le travail et l'apprentissage par l’expérience, qui s’appuieront sur des études de cas et des exercices de résolution de problèmes. Les étudiants pourront obtenir un diplôme en plusieurs étapes, notamment grâce au développement de la reconnaissance des acquis. Il y aura également un recours accru aux micro-certificats et micro-diplômes. Les apprenants pourraient suivre des modules de cours de manière espacée, qui s’accumuleraient pour leur permettre d’obtenir des diplômes à même de soutenir leur progression professionnelle. 

Globalement, quels sont les avantages de cette plus grande flexibilité ?

Pour les étudiants, des parcours d'apprentissage flexibles permettent de mieux s'adapter à leur situation et à leurs besoins. Pour les professionnels en activité, ils offrent davantage de possibilités de réintégrer l'enseignement supérieur pour mettre à jour leurs connaissances et leurs compétences. Pour le marché du travail, cela favorise une meilleure adéquation des compétences acquises et des besoins. Enfin, pour la société dans son ensemble, cela renforce l’équité. L'enseignement supérieur ne connaît pas d'impasses lorsqu'il est doté d'une offre d'apprentissage flexible. La flexibilité et la multiplicité des voies d’accès à l’apprentissage qu’elle induit permettent aux étudiants traditionnellement défavorisés – et qui se concentrent souvent dans des filières de moindre prestige (par exemple, l'enseignement et la formation techniques et professionnels ou l'enseignement supérieur de cycle court) – de progresser et d'obtenir des diplômes  de niveau avancé.

Les institutions suivent-elles le rythme de la demande d'apprentissage flexible ?

Pour l'instant, elles ne le font pas suffisamment et les institutions sont confrontées à de nombreux obstacles. Dans les pays en développement où le nombre d'étudiants traditionnels augmente rapidement, les efforts se concentrent avant tout sur leur accès à l’apprentissage plutôt que sur celui des étudiants non traditionnels. Un autre problème réside dans la fragmentation des structures de gouvernance dans l'enseignement supérieur : elle entraîne un manque de coordination entre les différents ministères qui va à l'encontre d'une plus grande flexibilité. Par ailleurs, les récentes réformes de gouvernance ont favorisé la concurrence plutôt que la collaboration entre les établissements. Il existe également de profondes disparités dans les cultures institutionnelles, par exemple entre l'enseignement professionnel et les universités, qui peuvent souvent être assez conservatrices lorsqu'il s'agit d’offrir des possibilités alternatives d’accès à l’apprentissage et  de transfert.

Que peuvent faire les décideurs politiques et les planificateurs ?

Ils peuvent créer un environnement propice à un apprentissage flexible via une forte capacité administrative, la coordination et  l'implication de nombreux acteurs - du gouvernement aux syndicats en passant par les étudiants. Des systèmes d'orientation pour les étudiants doivent également être mis en place afin que ceux-ci puissent trouver le programme qui leur convient le mieux dans une offre diversifiée. Notre nouveau Working Paper (document de travail, disponible en anglais) montre les expériences menées dans différents pays. Elles illustrent la nécessité de développer des cadres politiques aux objectifs non contradictoires. Un levier politique important est la cohérence des cadres nationaux de qualifications avec les systèmes d'assurance qualité qui devraient soutenir les résultats d'apprentissage convenus au niveau national. À leur tour, ces résultats facilitent la reconnaissance et la flexibilité. Le Working paper révèle également le manque de recherches sur l'impact de l'apprentissage flexible sur les résultats des étudiants et son effet sur l'équité dans l'enseignement supérieur. Ces deux points  font l'objet de notre enquête internationale et d'une série d'études de cas approfondies en Europe, en Afrique, en Asie, en Amérique latine et dans les Caraïbes.