Gouvernance et leadership scolaire en France : entretien avec deux chefs d’établissement

11 Mars 2019

Dans le cadre du cours spécialisé de l’IIPE, Organisation et gestion du secteur éducatif : systèmes et institutions, deux directrices d’établissements scolaires français ont partagé leur réflexion sur le quotidien de leur profession, ce qu’être un leader signifie, et comment entretenir un lien fort avec la communauté éducative locale.

Cécile Roaux est enseignante depuis 1995, et directrice d’école primaire à Paris depuis 2003. Elle a obtenu en novembre 2018 son titre de docteur en sciences de l’éducation. Depuis 2019, elle est conseillère pédagogique référente académique en mathématiques au rectorat de Paris. Aurélie Journée travaille depuis 15 ans dans le département de la Seine-Saint-Denis, en région parisienne. Après avoir occupé un poste de conseillère principale d’éducation dans un lycée à Sevran, de principale adjointe d’un collège à Montreuil, puis de principale d’un collège à Saint-Denis, elle est actuellement principale d'un collège à Bagnolet. 

IIPE : Pour commencer, pourriez-vous revenir sur la différence entre les postes de directeur d’école et de principal d’un collège ? 

Cécile Roaux : Le directeur d’école dirige un établissement d’enseignement primaire. Il veille au bon fonctionnement de l’école et assume la responsabilité des biens et des personnes au sein de l’école. A la différence d’un établissement du second degré, l’école primaire ne dispose d’aucune autonomie administrative et financière, ni d’un directeur statutairement reconnu. Par ailleurs, les initiatives des collectivités territoriales sont ainsi de plus en plus nombreuses et diverses. Désormais, deux lignes hiérarchiques parallèles entourent l’école avec un pilotage pédagogique par l’Inspection de l’Education Nationale (IEN) et un pilotage fonctionnel exercé par la commune.

L’école primaire est une école « composite » selon trois appartenances diverses : des acteurs liés directement à l’école (parents, enseignants, élèves et directeurs), des acteurs de la « chaine hiérarchique » (Inspection), et des acteurs liés aux mairies propriétaires des locaux scolaires. Le directeur d’école apparait donc à l’intersection de plusieurs groupes d’acteurs (en sociologie, un « marginal sécant ») avec des pouvoirs cependant très limités car les dépendances sont très fortes.

Aurélie Journée : Le principal d’un collège ou d’un lycée dirige un établissement d’enseignement secondaire, et ses responsabilités sont comparables à celles du directeur d’école, avec certaines spécificités. La première prérogative d’un principal de collège est, comme pour le directeur d’école, d’assurer la sécurité des individus (des personnels, des usagers et des publics accueillis) et des locaux. Pour cela, il travaille avec ses partenaires externes : commissariat, pompier, commission de sécurité. Toutefois, si l’école dépend d’une seule institution, à savoir la commune, le collège et le lycée ont quant à eux une double tutelle. Pour les infrastructures et le budget, le collège dépend du département, et le lycée, de la région. Sur le volet pédagogique (horaires réglementaires de cours par exemple), les collèges dépendent de la Direction académique, et les lycées du Rectorat. Selon l’établissement pris en charge, il ne s’agit donc pas des mêmes strates de décision et d’interlocuteurs. 

IIPE : Qu’évoque pour vous la notion de leadership ?

Cécile Roaux : Le leadership est selon moi une compétence qui s’acquiert, c’est la capacité à fédérer un ensemble d’individus. Un directeur d’école doit avoir cette compétence de leadership, être capable de rassembler les équipes enseignantes autour du projet d’école, de créer une cohésion d’équipe basée sur la confiance, et de fixer des objectifs de long terme. Un leader, c’est un peu un chef d’orchestre.

Aurélie Journée :  Le leadership est indispensable pour le chef d’établissement. La majorité de son temps de travail concerne le pilotage de la politique pédagogique de l’établissement. En fonction des spécificités du territoire, il doit pouvoir aménager une politique d’établissement qui corresponde aux besoins et compétences de ses élèves, avec toujours pour objectif de démocratiser l’accès à la réussite. Au sein de l’école, faire preuve de leadership implique de savoir piloter des équipes qui arrivent très jeunes, et qui pour la plupart ne connaissent pas les spécificités de leur territoire d’affectation. Il s’agit de les accompagner dans la découverte du territoire et de les aider à développer des compétences au contact des élèves et du personnel. En termes de communication, d’écoute, de gestion de carrière et de conseils quotidiens, le chef d’établissement doit être l’interlocuteur privilégié des équipes enseignantes et de la vie scolaire.

IIPE : Comment peut-on acquérir ces compétences de leadership?

Cécile Roaux : Lorsque je suis devenue directrice, je n’avais à l’époque qu’une semaine de formation en fin d’année. Aujourd’hui la formation du directeur d’école reste limitée à cinq semaines comparativement à celle du chef d’établissement qui bénéficie de deux années de formation. Ce n’est pas tant une question de leadership. La capacité des directeurs d'école à faire évoluer une équipe, à faciliter le travail collectif dans le sens d'une meilleure proximité au terrain, nécessite de réels leviers de pilotage, autres que « la convivialité » ou un éventuel charisme. Cela passe certainement par un statut particulier qui permettrait, outre une reconnaissance certaine du métier, une légitimité – un positionnement - pour agir dans les différents mondes dans lesquels le directeur d’école est amené à intervenir. Mais cela passe surtout, et avant tout, par une solide formation. Une formation pédagogique de haut niveau, identique à celle des personnels de direction (c’est-à-dire deux ans) et validée par un concours pour certifier l’expertise du directeur d’école. On pourrait envisager une formation avec une base commune avec les chefs d’établissement sur les théories et les pratiques des modèles collaboratifs et coopératifs, en s’appuyant pour cela sur l’analyse stratégique des organisations. Il est indispensable d’être formé sur la posture et la communication avant d’envisager de travailler sur le leadership. 

Il conviendrait parallèlement d’envisager une mise en réseau des directeurs pour une meilleure mutualisation des pratiques. Une adéquation entre le travail demandé et les moyens notamment humains, est aussi nécessaire. L'absence de secrétariat, d'intendance, de vie scolaire rend en effet la direction d'une école peu efficiente sur le terrain, celle-ci étant happée au quotidien par une multitude de tâches qui pourraient être confiées à un tiers. 

Aurélie Journée : En France, l’Education nationale prévoit un plan académique de formation, et chaque académie peut mettre en place des formations pour les enseignants et chefs d’établissement, sur une base de volontariat, ce qui permet d’échanger avec des collègues d’autres départements. Par ailleurs, pour un chef d’établissement, deux années de formation sont dispensées en même temps que la prise de poste. En parallèle du pilotage de notre établissement, nous avons donc des journées de formation sur les thèmes de leadership, de l’organisation de l’établissement, de l’organisation pédagogique, de gestion de budget. 

Ces formations nous permettent de régulièrement questionner notre pratique, mais ne peuvent pas remplacer la formation sur le terrain. Etre leader, c’est avant tout rencontrer les gens avec lesquels nous travaillons, car les besoins ne sont jamais les mêmes, et notre environnement influence notre leadership. Avec le temps, nous apprenons à écouter davantage les autres. Avec le temps, nous constatons aussi que tout ne dépend pas du leader : sans l’adhésion des personnels, des parents, rien ne peut se faire. La place des parents d’élève est cruciale dans la question du pilotage, et les investir sur des projets, faciliter leur échange avec les enseignants, cela fait partie du leadership. Certes, nous avons des formations, mais c’est surtout en tant qu’êtres humains que nous devons apprendre au quotidien et tirer bénéfice de la polyvalence de nos métiers, et de l’expérience des autres.

Bien que nous soyons un établissement public, dépendant du ministère de l’Education nationale, je pense d’ailleurs qu’il est important d’apprendre du secteur privé en matière de leadership, et d’observer la gestion du personnel en grandes entreprises, où se développe un sentiment d’appartenance et où le personnel a plaisir à venir travailler.

IIPE : Dans quelle mesure le leadership peut-il être partagé avec les enseignants ? 

Aurélie Journée : Au collège, le pilotage de l’établissement est déjà partagé entre le principal, son adjoint, et le directeur de SEGPA (section d’enseignement générale et professionnelle adaptée) quand il y a une SEGPA dans le collège. L’équipe de pilotage est complétée d’un gestionnaire en charge des questions budgétaires de l’établissement. En collège et lycée, nous partageons aussi des missions avec les enseignants, grâce à un dispositif qui n’existe pas au niveau primaire : les indemnités pour missions particulières. Nous avons par exemple des enseignants référents pour les élèves en difficulté scolaire, et des référents culture en charge du parcours culturel de l’établissement. 

Le chef d’établissement ne peut pas porter seul la charge du pilotage. Bien sûr, il impulse la politique de l’établissement, mais il délègue par nécessité à ses adjoints, qui ont par ailleurs des compétences spécifiques (expérience des écoles primaires, ouverture culturelle, capacité de liaison, expertise budgétaire, etc.) car ils deviendront probablement chefs d'établissement par la suite. Ce pilotage partagé permet de conserver un regard critique, et de favoriser le partage de compétences.

Cécile Roaux : La notion de « leadership » implique par définition des « buts précis », une orientation et une mobilisation « durable » vers ces buts. Or il n’est pas du tout évident que ces buts soient à la fois précis, conscients et partagés. Il est difficile de parler de réel leadership pour l’école primaire qui est avant tout une école communale sans directeur hiérarchique. Le travail est avant tout cellulaire avec un enseignant, une classe ; le travail est très affinitaire et constitue souvent un obstacle à une véritable coopération au sein de l’école. De plus à l’école primaire, le pouvoir d’agir individuel et collectif est limité par l’inspection de l’Education nationale, dont les fonctions de contrôle peuvent éventuellement limiter l’action collective. 

IIPE : Concernant la relation entre l’école et son environnement, quels sont les acteurs avec lesquels vous collaborez ?

Cécile Roaux : Le directeur d’école se situe à l’interface entre les parents, la hiérarchie et la mairie. Le partenariat est très large et toujours sous la tutelle de la hiérarchie [l’Inspection nationale] et de la commune. Le premier « partenariat » est avec le périscolaire. La direction de l’école primaire se partage alors entre : 1) le directeur de l’école, en étant représentant de l’institution (pour le temps scolaire), et 2) « l’animateur référent du périscolaire » (pour les temps périscolaires et extrascolaires), qui a un véritable statut hiérarchique sur les animateurs. Le directeur d’école bénéficie aussi de différentes aides extérieures pour le traitement de la difficulté (psychologue, orthophoniste, etc.), les services sociaux, la police, les associations, etc.

Aurélie Journée : Au collège, les premiers partenaires sont la Direction académique, le Conseil départemental et les autres établissements. Dans le cas de mon établissement, nous travaillons beaucoup avec les écoles et les lycées : cette liaison depuis la maternelle jusqu’au lycée, voire jusqu’à l’université, est facilitée par le statut d’Education Prioritaire, grâce à des dispositifs tels que les « cordées de la réussite », qui permettent le tutorat entre élèves de collège et universitaires. 

Lorsque nous devenons chef d’établissement, la lettre de mission que nous recevons nous invite à ouvrir l’établissement à son environnement extérieur, ce que nous faisons nécessairement car nous ne pouvons pas fonctionner sans nos partenaires. Le travail dépend énormément du territoire concerné, et en tant que directeur, nous avons la charge d’identifier les priorités de l’établissement et les partenaires adéquats. Il faut aussi identifier des opportunités auxquelles les élèves n’ont pas forcément accès dans leur environnement familial ou au sein de l’établissement. C’est pourquoi nous travaillons étroitement avec le service jeunesse de la mairie, qui permet de financer des projets de l’établissement et de se connecter au réseau des autres établissements d’enseignement secondaire. 

Ces partenariats ont par ailleurs un impact sur le climat scolaire. Il est donc important d’améliorer l’ouverture de l’établissement, de faciliter l’appropriation de l’établissement comme lieu de vie pour les enfants et pour les parents, et ainsi de favoriser un sentiment d’appartenance et d’intégration au sein du quartier. Les maisons de quartier sont pour cela essentielles, elles permettent d’assurer une liaison avec les partenaires extérieurs, et surtout de faciliter le contact avec des parents d’origine étrangère. Sur des thématiques spécifiques, certaines associations viennent également former les enseignants au sein de l’établissement ou faire de la prévention auprès des parents, par exemple sur les dangers liés au numérique.