Les enseignants à l'ère des ODD

21 Janvier 2019

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Barbara Tournier/IIEP-UNESCO

Par David Edwards, Secrétaire général, Internationale de l’Éducation

Les Objectifs de développement durable (ODD) sont d’une portée et d’un niveau d’ambition sans précédent. Pour autant, des investissements à la hauteur de ces ambitions ont-ils été réalisés au profit des enseignants en termes d’outils, de temps et de confiance ? La campagne en faveur de l’Éducation pour tous (EPT) et la vague massive de recrutements qu’elle a provoquée, avec l’embauche de personnels non qualifiés et non formés, ont contribué à éroder le statut des enseignants un peu partout dans le monde. À l’ère des ODD, est-ce un signal d’alarme qui incite à consacrer plus de ressources à cette profession vitale ? 

Le déclin du statut de la profession enseignante est un sujet dont on parle beaucoup depuis quelques temps. Pour la première fois, une étude mondiale et un nouveau rapport de l’Internationale de l’Éducation (IE) font le point sur ce sujet. Intitulé « Le statut des enseignants et de la profession enseignante dans le monde », ce rapport décrit les conditions difficiles dans lesquelles les enseignants doivent exercer leur métier et propose une voie vers un avenir plus acceptable. L’auteure, Nelly P. Stromquist, professeure à l’université du Maryland, s’appuie sur les résultats d’une enquête mondiale à laquelle ont répondu 114 organisations d’enseignants affiliées à l’IE, couvrant tous les niveaux, de la petite enfance à l’enseignement supérieur. 

Le rapport révèle que, dans beaucoup de pays, les enseignants travaillent dans des conditions précaires voire déplorables. Les contrats à temps partiel se multiplient, contribuant au bas niveau des salaires et à une grande insécurité professionnelle. Le manque de respect et de soutien à l’égard de cette profession, pourtant l’une des plus essentielles au monde, ne fait que s’accentuer. Au Mexique, par exemple, plus de la moitié des enseignants des collèges et des écoles secondaires sont payés à l’heure, conduisant à une rémunération insuffisante pour vivre. L’embauche d’enseignants à titre temporaire se répand partout dans le monde. Or, si ce type d’emploi a aidé des pays comme l’Inde à élargir l’accès à l’école, pour les enseignants contractuels cela signifie une faible stabilité professionnelle et l’absence d’avantages sociaux. 

Dans l’ensemble, les enseignants sont très nombreux à percevoir un salaire insuffisant sans lien avec leur niveau de qualification et d’expérience. Dans 79 % des pays visés par l’enquête, les salaires des enseignants sont inférieurs à ceux d’autres professions de niveau de qualification comparable, et moins de 17 % des enseignants des établissements d’enseignement technique et professionnel ou d’accueil de la petite enfance estiment leur salaire correct. Par ailleurs, 15 % font état de retards de paiement, en particulier en Amérique latine, et 79 % des enseignants d’Afrique se plaignent d’être obligés de faire de longs trajets pour toucher leur salaire.

Le rapport insiste sur l’urgence à améliorer la formation professionnelle – seul un enseignant sur trois (30 %) dit avoir accès à la formation et au développement professionnel continus, et 77 % de ceux qui y ont accès les jugent de piètre qualité et peu utiles. Les enquêtés ont déclaré être en demande de soutien (en particulier pour les élèves qui ont des besoins particuliers), et de possibilités pour développer leurs compétences en matière de technologies de l’information et de la communication et de formations sur les questions de genre et de sexualité. 

Partout dans le monde, des enseignants se disent confrontés au manque de matériel pédagogique, à des infrastructures de mauvaise qualité et à des contextes de travail de plus en plus violents. Le manque d’accès à l’eau, à des toilettes ou autres infrastructures associées, est dénoncé par 64 % des syndicats, ce qui crée des problèmes, en particulier pour les enseignantes et les écolières. Une autre source d’insécurité est la violence en classe ou à l’école, entre les élèves ou des élèves à l’égard des enseignants, comme le mentionnent la moitié des syndicats. Il ressort des résultats de l’enquête que le burnout est aussi un problème récurrent chez les enseignants. L’ensemble de ces facteurs rend de plus en plus criant le problème des effectifs d’enseignants, alors que la demande explose dans tous les secteurs. 

La précarisation de l’enseignant en tant que professionnel respecté, tant au niveau de la rémunération que du statut, à laquelle s’ajoute une tendance à limiter les droits des enseignants à s’organiser et à agir collectivement, fait des enseignants une main d’œuvre isolée, bon marché et obéissante. Les syndicats d’enseignants ont un rôle crucial à jouer pour juguler le phénomène croissant d’abandon et de découragement, ainsi que lutter pour des salaires décents ou donner envie à une nouvelle génération d’embrasser une profession à l’origine de toutes les autres ! 

De même, les gouvernements doivent impliquer les syndicats en amont, dans le respect du droit national et international. Or, au lieu de consulter les enseignants et leurs syndicats sur les questions de politique et de financement, la plupart leur impose au contraire des tâches – comme des tests aux enjeux élevés – qui minent leur force créative et innovante. 

Le rapport se termine par des conseils clairs à destination des gouvernements sur les actions à mener pour honorer leur engagement d’offrir une éducation de qualité et faire en sorte que l’enseignement soit dispensé aux élèves par des enseignants dûment formés, qualifiés et autonomes. Ils pourraient, par exemple, mettre en place des services de formation et de développement professionnels continus, complètement financés. Ils pourraient communiquer les statistiques sur les qualifications requises pour enseigner afin de permettre une collaboration entre syndicats et ministères en matière de planification des qualifications. Tout ceci va dans le sens de l’objectif fixé par l’UNESCO de faire bénéficier tous les élèves de professeurs qualifiés, et du travail conjoint mené par l’IE avec l’UNESCO sur les normes professionnelles. Trop de pays optent pour des mesures qui ne sont pas acceptables, comme l’emploi d’enseignants non formés. En tant que syndicats d’enseignants, nous sommes les gardiens de la profession. 

Il est également impératif de se préoccuper du statut juridique des enseignants, car le recul de l’emploi stable et la multiplication des emplois temporaires ou à temps partiel sont pour beaucoup dans la vulnérabilité de la profession à travers dans le monde. 
L’expansion effrénée de l’enseignement privé doit également trouver réponse.

Cette expansion continue à saper un principe fondamental du droit à l’éducation : l’accès gratuit et équitable pour tous. Les gouvernements doivent envisager d’augmenter le financement de l’éducation publique et de réévaluer la répartition des ressources, pour permettre aux enseignants d’exercer leur mission dans des environnements aussi divers que complexes, et atteindre le quatrième ODD et ses visées multiples.

Lire le rapport complet : 

Français : http://go.ei-ie.org/2018StatusTeachersFR 
Anglais : http://go.ei-ie.org/2018StatusTeachersEN
Espagnol : http://go.ei-ie.org/2018StatusTeachersES