Les subventions aux écoles en République démocratique du Congo : carnet de terrain

15 Novembre 2016

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IIEP -2015
Le Professeur Crispin Mabika interroge des élèves en dernière année du cycle primaire dans une école de Kinshasa

De 2015 à 2016, l’IIPE a coordonné, avec le soutien du Partenariat Mondial pour l’Education, une recherche sur l’utilisation et l’utilité des subventions aux écoles en République démocratique du Congo (RDC) mais aussi à Haïti, Madagascar, et au Togo.
Quels ont été les enjeux de la recherche en RDC ? Réponses avec le Professeur Crispin Mabika, chef du département des Sciences de la Population et du Développement de la Faculté des Sciences Economiques de Kinshasa, qui a dirigé l’équipe de recherche nationale congolaise sur le terrain.

 

Pourquoi étudier les subventions aux écoles en RDC?

 Le Pr. Crispin Mabikanous l’explique :
« Pendant longtemps, l’enseignement national était régi par une loi qui instituait la participation financière des parents. Le nombre moyen élevé d’enfants d’âge scolaire au sein des ménages empêche les parents de prendre correctement en charge leur scolarité. Dans le contexte d’une démographie galopante et du désengagement paradoxal de l’Etat, il a été constaté une déperdition et un nombre impressionnant d’enfants en dehors de l’école. Plusieurs mesures incitatives comme les subventions ont été alors adoptées. »
La politique de subvention aux écoles a été lancée en 2010 en RDC pour accompagner la mise en place progressive de la gratuité de l’éducation. Elle a pour but d’alléger les cotisations des parents, en compensant la perte de revenus pour le budget des écoles, et d’améliorer la qualité de l’éducation dans les écoles.
La politique permet aussi que les écoles disposent d’une plus grande autonomie pour la gestion de leurs ressources financières, afin qu’elles puissent répondre de manière plus pertinente à leurs besoins réels.

 

Comment s’est déroulée la recherche sur le terrain ?

 Une approche mixte
Sur le terrain, la recherche été menée par une équipe de chercheurs nationaux. La méthodologie du projet a été tout d’abord qualitative, en s’appuyant sur des entretiens avec les acteurs de l’école et les administrations locales. Les chercheurs ont visité 15 écoles primaires publiques réparties dans 3 provinces administratives (Kinshasa, Kongo-central et Kwango), et ont conduit des entretiens avec environ 200 acteurs.
La deuxième phase de la recherche a portée sur une analyse statistique à partir de données chiffrées couvrant 110 écoles du pays. Ces données sont aussi bien des indicateurs de la scolarisation (effectifs, redoublements, abandons, résultats aux examens) que des données financières sur le budget des écoles.
 

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Les enseignants d’une école de la région du Kwango interrogés durant l’enquête.


Les obstacles rencontrés

 Les chercheurs ont été confrontés à deux obstacles.
La réticence des acteurs interrogés a constitué une première difficulté, comme en témoigne le Pr. Crispin Mabika :
« De la part de certains directeurs d’écoles, particulièrement ceux de la capitale, Kinshasa, il s’est manifesté une sorte de réticence lors des interviews. La sensibilité et la délicatesse de la question justifient leur attitude. ».
L’équipe de recherche s’est efforcée d’établir une relation de confiance avec les acteurs interviewés afin de les rassurer du caractère confidentiel des éléments de réponses fournies.
L’autre obstacle rencontré concerne la difficulté d’accéder aux rapports financiers et d’utilisation des subventions tenus par les écoles.Ils n’ont pas pu être fournis par toutes les écoles et tous les bureaux locaux d’éducation.
« Au sein des écoles, les données financières sont organisées de façon peu systématique en dépit de l’existence de formulaires relatifs aux finances »,nous explique-t-il.

 

Quels sont les principaux résultats de recherche ?

 L’amélioration de la qualité dans les écoles
Les subventions contribuent à l'amélioration des conditions d’enseignement et d’apprentissage en permettant aux écoles de se doter en matériel didactique et pédagogique, disposant d’un budget plus important.
« Grâce aux subventions, le matériel de base ne manque plus dans les classes de nombre d’écoles. », nous explique le Pr Mabika.

Le maintien des cotisations parentales
Les subventions n’ont pas permis de remplir entièrement leur objectif de remplacement des cotisations parentales, qui constituent toujours une part importante du budget des écoles.
Les cotisations parentales restent nécessaires pour le fonctionnement des écoles. Une partie est utilisée comme complément de revenu pour les enseignants ; l’autre est prélevée pour contribuer au budget des structures éducatives locales. Dans ce contexte, les cotisations parentales continuent de soutenir un système de financement « par le bas» du système éducatif.
« En raison de la dépendance financière aux cotisations parentales qui compensent le faible salaire des enseignants, ces derniers s’opposent à la gratuité effective qui occasionnerait un manque à gagner important dans leur revenu. », nous explique le Pr Mabika.

Une faible appropriation au niveau local
Les acteurs de l’école n’ont pas été impliqués dans le processus de formulation de la politique de subventions. Il s’agit d’une politique peu connue à l’échelle locale, en raison du manque de communication et de sensibilisation à cet égard.
« C’est une politique très centralisée qui émane de la hiérarchie scolaire et de l’Etat. Il manque de la part des acteurs éducatifs en milieu scolaire une réelle appropriation de cette politique.»,souligne le Pr. Crispin Mabika.

Malgré les obstacles mis en évidence par la recherche conduite en RDC, les subventions aux écoles peuvent constituer une stratégie prometteuse pour accroitre l’accès à l’éducation, améliorer les conditions d’enseignement et d’apprentissage et réduire les disparités entre les élèves et les écoles.
Du 10 au 12 octobre 2016, l’IIEP-UNESCO a organisé le séminaire politique sur l’utilisation et l’utilité des subventions aux écoles à Paris. L'événement a permis d’identifier des suggestions pour améliorer la conception et la mise en œuvre des politiques de subventions aux écoles.