Mener la politique éducative : retour sur le Débat Stratégique de l’IIPE

22 Novembre 2018

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Najat Vallaud-Belkacem, Deputy CEO of IPSOS and former Minister of Education for France, and Stefania Giannini, Assistant Director-General for Education at UNESCO, and the former Minister of Education for Italy.

Pour les ministres de l’Education du monde entier, les enjeux sont toujours élevés.
« Quand on touche à l’éducation dans un pays – dans toutes les régions du monde – on touche à quelque chose d’essentiel pour la vie de tous », a déclaré Stefania Giannini, Sous-Directrice générale pour l’éducation à l’UNESCO, et ancienne ministre de l’Education en Italie entre 2014 et 2016.

Stefania Giannini et Najat Vallaud Belkacem, ancienne ministre française de l’Éducation de 2014 à 2017, aujourd’hui Directrice générale déléguée à IPSOS, se sont rejointes sur la scène du 7e Débat Stratégique de l’IIPE de cette année. Animée par Suzanne Grant Lewis, Directrice de l’IIPE, cette vaste discussion a permis aux deux anciennes ministres de décrire un environnement politiquement chargé, où le temps passe vite et où les critiques ne sont jamais loin.

Nous avons résumé ci-dessous les points saillants du débat, mais la discussion complète est disponible ici :

 

La modératrice Suzanne Grant Lewis a d’abord demandé aux ministres ce qu’elles auraient aimé savoir avant d’entrer en fonction.

Mme Giannini, qui a fait toute sa carrière dans le domaine de l’éducation et qui en comprend la valeur en raison de ce que cela lui a permis d’accomplir, a souligné qu’il aurait été utile qu’elle en sache davantage sur ce que le poste impliquait réellement dès le départ, et sur les défis à relever pour hausser le niveau du débat public.

« Être ministre de l’Éducation peut être plus dangereux que nager dans une piscine peuplée de requins... mais j’ai survécu en sachant que l’éducation est la chose la plus importante dont on doit s’occuper » a dit Mme Giannini.

Mme Vallaud Belkacem s’est fait l’écho des sentiments de Mme Giannini, ajoutant qu’elle aurait aimé comprendre l’écart entre le débat et l’opinion publique, et les défis réels de l’éducation aujourd’hui. Elle conseille à tout ministre de l’Éducation actuel de garder ce décalage à l’esprit et de savoir que les experts en éducation souffrent d’un manque de reconnaissance et de légitimité publique.

Les deux ministres sont entrés en fonction en 2014, au moment où le monde faisait le point sur les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) et commençait à concevoir ce qui devait être des objectifs universels, les Objectifs du développement durable (ODD). Grant Lewis a donc posé la question : « Quelle influence cela a-t-il eu sur votre mandat ? »

Mme Vallaud Belkacem a souligné qu’en France, le débat public sur les questions éducatives est resté largement national. Par rapport à d’autres pays, par exemple en Afrique, le public connaît peu les ODD. Cependant, elle a remarqué que les étudiants français, sans connaître forcément le langage formel des ODD, saisissaient tout de même leurs concepts fondamentaux, qu’il s’agisse de devenir des citoyens du monde, de lutter contre le changement climatique ou d’atteindre l’égalité des sexes.

De même, Mme Giannini a déclaré que l’importance du développement durable et l’Agenda 2030 n’était pas sur le radar du public lorsqu’elle était en fonction. Toutefois, son ministère s’est efforcé de porter un élément important de ce programme mondial : en étant plus ouvert et en adoptant les bonnes politiques, le système scolaire peut être un véritable moteur pour une société plus inclusive.

Les deux ministres ont ensuite eu l’occasion de présenter une réforme qui a marqué leur mandat.

En Italie, Mme Giannini a développé et mis en œuvre une réforme structurelle du système éducatif, axée sur l’inclusion sociale, pour ouvrir l’école à la société. Il s’agissait d’un projet ambitieux, a-t-elle dit, qui comprenait notamment un volet de développement professionnel des enseignants et un système d’évaluation, une plate-forme nationale de numérisation permettant aux élèves et aux enseignants d’utiliser la technologie dans le cadre du processus d’apprentissage, et un programme école-travail. Elle a également fait remarquer que si l’éducation est un domaine où l’on a besoin de temps pour voir l’impact et les conséquences de ses actions, la « politique ne peut pas attendre ». C’est là aussi que la communication – et le rôle des médias – est si cruciale dans la diffusion des informations relatives à une réforme.

Mme Vallaud Belkacem, dont la réforme à multiples facettes abordait l’inclusion des jeunes défavorisés, la formation des enseignants et la refonte des programmes de l’enseignement secondaire, a également dû faire face à la désinformation et aux fausses nouvelles pendant son mandat. Parfois, les enseignants s’informaient sur une réforme, non pas en lisant le texte lui-même, mais par les médias sociaux et la presse, s’exposant ainsi au risque de distorsion de l’information.

Une autre observation importante qu’elle a faite est que les élèves n’étaient pas souvent au centre des discussions sur les réformes de l’éducation. Elle a ainsi raconté ses premières semaines au pouvoir. Alors que des piles de papier s’entassaient sur son bureau, elle était conduite d’une réunion à une autre, avec des enseignants, des syndicats, et d’autres acteurs, avec une forte pression pour prendre des décisions rapides. Au bout de deux semaines, elle interroge un membre de son Cabinet : « J’ai vu beaucoup, beaucoup de gens, mais en fait, quand est-ce qu’on parle des élèves ? »

En ce qui concerne le processus d’élaboration des politiques, Mme Grant Lewis a demandé de quelle façon les anciennes ministres ont été en mesure d’utiliser les données pour concevoir des politiques. 

Mme Giannini se souvient qu’il était très difficile de recueillir des données homogènes et bien structurées. Toutefois, le ministère avait commencé à constituer une base de données et à puiser dans des sources extérieures, car il y a eu une prise de conscience de l’importance des données dans l’élaboration des politiques. Mme Vallaud Belkacem a déclaré qu’en France le problème n’était pas sur la question d’avoir assez de données, mais plutôt sur leur utilisation par le public et les médias, qui sélectionnait seulement certaines données. Elle a donné l’exemple des articles sur les réformes visant à réduire le nombre d’abandon scolaire en France : ils continuaient de faire référence à des données vieilles de 5 ans (140 000 abandons scolaires en 2012) plutôt qu’aux progrès relevés en 2017 (80 000).

Au-delà de l’échéance politique

Ce Débat Stratégique a fourni une rare occasion de se plonger dans l’esprit de deux anciens ministres de l’Education. Les deux orateurs invités avaient beaucoup en commun : deux femmes politiques – originaires de deux pays très proches – qui avaient de grandes ambitions pour réformer leur système éducatif. Ni l’une ni l’autre ne s’attendait à ce que les défis soient aussi vastes. Elles ont insisté sur l’importance d’exploiter le pouvoir de la communication pour expliquer leurs intentions et les conséquences de leur politique à un large éventail d’acteurs, tous concernés : les autres hommes et femmes politiques, les syndicats, la presse, les élèves, les enseignants et les parents. Les deux invitées ont clairement pris conscience de la vitesse du temps politique, et le fait que les réformes peuvent être mises en place et annulées tout aussi rapidement. Cependant, ce qui ne change pas, c’est le potentiel de l’éducation et sa capacité à favoriser une société plus inclusive et intégrée pour tous.