Quelles sont les conditions d’un enseignement secondaire universel de qualité ?

25 Juin 2019

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UNESCO/CAROLINA JEREZ
Students raising hands at the Municipal School Marcela Paz - La Florida in Santiago de Chile.

Par Pablo Cevallos Estarellas, Responsable du bureau IIPE de Buenos Aires

 

En 2015, à l’occasion du Forum mondial sur l’éducation, la communauté éducative internationale a adopté un nouvel objectif ambitieux : universaliser un enseignement secondaire de qualité, afin de permettre à chacun d’apporter pleinement sa contribution à la société du XXI e siècle. La même année, la Déclaration d’Incheon proclamait la nécessité de rendre accessible à tous douze années « d’enseignement primaire et secondaire de qualité gratuit, financé sur fonds publics », dont au moins neuf années (d’enseignement primaire et secondaire premier cycle) « obligatoires, débouchant sur des acquis pertinents » (article 6).

Pour atteindre ce but, les pays doivent ouvrir leurs systèmes scolaires secondaires – initialement destinés à former exclusivement une petite élite universitaire – pour inclure ceux qui en étaient exclus pour des raisons structurelles.

L’Amérique latine, où des efforts sont faits depuis le début des années 2000 pour universaliser l’enseignement secondaire, est une bonne illustration de l’ampleur de la tâche. Actuellement, l’intégralité du cycle d’enseignement secondaire est obligatoire dans 13 des 19 pays de la région, tandis que dans cinq autres pays seul le premier cycle est obligatoire. Si cela a permis d’accroître considérablement les effectifs de l’enseignement secondaire, il reste néanmoins d’importants défs à relever, en particulier la persistance du faible taux de diplômés et la médiocrité des acquis scolaires.

Dans la région, un seul pays enregistre un taux supérieur à 90 % d’élèves accomplissant l’intégralité du secondaire premier cycle, la proportion étant inférieure dans sept autres pays qui ont pourtant rendu ce premier cycle obligatoire. Dans le second cycle, le pourcentage dépasse les deux tiers dans cinq pays seulement. En ce qui concerne les acquis scolaires, si l’on compare les résultats de l’examen régional de fin d’études primaires (TERCE) et du PISA (évaluation internationale d’élèves à la fin du secondaire premier cycle), on constate une chute des performances en lecture et un taux de 50 % ou plus d’élèves ayant obtenu de mauvais résultats aux épreuves de sciences du PISA dans tous les pays de la région.

Les succès et les difficultés des réformes engagées dans les pays d’Amérique latine sont des expériences extrêmement précieuses pour d’autres pays soucieux d’universaliser l’enseignement secondaire.

La première leçon que l’on peut en tirer est que pour universaliser l’enseignement secondaire il faut élargir son objectif initial. Dans toute la région, les législations ont été modifiées pour spécifier que la finalité de l’enseignement secondaire n’était pas uniquement de préparer tous les élèves à l’enseignement supérieur, comme c’était le cas auparavant, mais de leur permettre également d’accéder au marché du travail, d’acquérir des compétences pour la citoyenneté et, dans certains cas, de se développer sur le plan moral et personnel. En officialisant cet élargissement des objectifs, les États ont reconnu que conférer un seul but à l’enseignement secondaire (par exemple préparer l’accès à l’enseignement supérieur) était incompatible avec l’universalisation d’un enseignement secondaire de qualité pour tous.

La seconde leçon que l’on peut tirer est que si l’on veut garantir ces objectifs généraux pour tous, leur adoption officielle doit s’accompagner d’une modification de la structure de l’enseignement secondaire. Dans la plupart des pays d’Amérique latine, malgré les changements législatifs évoqués plus haut, les systèmes d’enseignement secondaire demeurent fragmentés en filières multiples et distinctes, qui ont chacune une dominante et leur propre programme.

Il existe habituellement une filière générale, une filière technique et une filière professionnelle, ainsi que des adaptations spécifiques pour les peuples autochtones, les adultes ou les populations rurales. Dans ce contexte extrêmement diversifié, si toutes les filières ont pour but de préparer les élèves au minimum à l’un des objectifs mentionnés dans les lois sur l’éducation, aucune ne vise à les préparer à tous.

Les filières censées préparer les élèves à l’université proposent habituellement un enseignement général et développent certaines compétences pour la citoyenneté, mais couvrent rarement des compétences professionnelles préparant à l’emploi. De la même manière, la plupart des autres filières ne dotent pas les élèves des connaissances nécessaires pour pouvoir raisonnablement espérer accéder à l’université et aux diplômes qu’elle délivre, mais se focalisent plutôt sur des aptitudes techniques et/ou professionnelles spécifiques. La conséquence de cette diversification des filières est que les élèves se spécialisent trop tôt, n’ont pas un socle commun d’acquis et sont limités dans les choix qui s’offrent à eux après leurs études secondaires par le type ••• SUITE d’établissement qu’ils ont fréquenté.

Dans les sociétés marquées par de très fortes inégalités, comme c’est le cas en Amérique latine et dans de nombreux autres pays œuvrant pour universaliser l’enseignement secondaire, cette diversification est encore plus problématique à cause de la répartition inégale des possibilités d’accès aux différentes filières. L’origine socio-économique des élèves détermine souvent leur orientation vers une filière secondaire qui soit leur facilitera l’accès à des emplois bien payés, soit leur offrira des possibilités limitées.

Du point de vue de l’objectif mondial d’universalisation d’un enseignement secondaire de qualité, l’expérience récente de l’Amérique latine montre que, malgré des changements législatifs ambitieux, les systèmes d’enseignement secondaire peuvent rester figés dans une dynamique de sélection précoce et de discrimination, reproduisant ainsi les inégalités qu’ils sont censés réduire. L’enjeu, pour cette région et pour d’autres, est donc de repenser la structure même des systèmes d’enseignement secondaire, afin qu’ils puissent atteindre leurs objectifs et garantir des acquis d’apprentissage substantiels à tous les élèves