Réformer le supérieur au Chili

   Par Maria José Lemaître, Centro Interuniversitario de Desarrollo (CINDA), Executive Director

 

Attendue depuis longtemps, une proposition de réforme de l’enseignement supérieur se heurte à une forte opposition des parties prenantes et des responsables politiques.

Lorsque les électeurs chiliens se sont rendus aux urnes pour l’élection présidentielle de 2013, un consensus clair se dégageait au sein de la société sur la nécessité de réformer l’enseignement supérieur (ES). Michelle Bachelet a été élue sur la promesse de s’attaquer aux principaux problèmes du secteur : 

  • La reconnaissance de l’ES en tant que droit social et non comme bien de consommation ;
  • Le renforcement de l’ES public, qui fonctionnait selon un modèle privé avec des subventions publiques extrêmement limitées ;
  • La nécessité d’améliorer la responsabilité vis-à-vis de l’offre d’ES et de la qualité de l’enseignement ;
  • La réduction de la charge financière qui pèse sur les étudiants de premier cycle. 

Le gouvernement s’est lancé dans un projet ambitieux de recueil d’opinions : des commissions ont été constituées, des représentants de nombreux établissements et associations ont été consultés et un Comité consultatif a été nommé. Dans le même temps, le ministère de l’Éducation a travaillé en secret et sans bruit sur la préparation d’une réforme. Elle a été finalement présentée, avec beaucoup de retard, le 4 juillet 2016. Cette réforme a reçu de vives critiques, notamment parce qu’elle ne tenait absolument pas compte des réalités d’un système d’ES extrêmement diversifié et très lourd. De plus, elle s’appuyait sur un diagnostic arbitraire, donnant l’impression d’être destiné à justifier certaines mesures, au lieu de faire un tableau fidèle de ses points forts et de ses faiblesses. En outre, elle ne tenait compte ni des avis des experts, ni des personnes consultées. 

Auparavant, en mai 2015, devant l’inexorable chute de popularité de la présidente, ses conseillers avaient décidé d’accélérer la mise en œuvre d’une promesse de campagne : tous les étudiants de la moitié inférieure de la répartition des revenus ont ainsi été dispensés des droits d’inscription. Les universités étaient libres d’adhérer ou non au programme. Par contre, les écoles techniques et professionnelles en étaient exclues (elles peuvent désormais y adhérer, à condition d’être structurées comme de réelles organisations à but non lucratif). 

La promesse de gratuité des études a eu un impact profond sur le contenu de la réforme : la gratuité a inévitablement creusé un fossé important entre les crédits accordés par le gouvernement et le budget institutionnel normal, exposant les établissements d’enseignement supérieur (EES) à un risque financier. Cela a eu pour effet de déplacer le débat des aspects conceptuels de la réforme vers la défense d’intérêts institutionnels, provoquant une fragmentation du secteur de l’ES et l’apparition d’une myriade de groupes d’intérêts. 

La réforme de l’ES est aujourd’hui bloquée devant le parlement. Par ailleurs, le projet actuel n’aborde pas les principaux problèmes de responsabilisation, de qualité et d’accessibilité financière de l’ES. La grande majorité du système chilien reste soumis aux lois du marché. Malgré la promesse du gouvernement de traiter dans une autre proposition les problèmes concernant les universités publiques du pays, rien n’a avancé et le temps presse. Le mécanisme d’assurance qualité très contesté est toujours en cours, sans modification majeure. La gratuité des études est peut-être l’exception, mais certains estiment que la charge financière qu’elle impose aux établissements compromet l’amélioration de la qualité de l’enseignement, qui était l’un des principaux objectifs de cette réforme.

Le ministère de l’Éducation a apporté quelques modifications à la réforme proposée. Mais il y a eu peu de progrès et les changements semblent davantage destinés à apaiser des groupes d’intérêts spécifiques qu’à répondre aux besoins de l’ES. Une occasion unique de réformer l’enseignement supérieur s’est présentée. Elle n’a malheureusement pas été saisie à cause de la manière inepte d’entreprendre cette réforme.

 

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