Renforcer l’équité dans l’enseignement supérieur

16 Mai 2017

Le 4 mai dernier, l’IIPE a organisé son deuxième Débat Stratégique de l’année 2017. Il était consacré à une question au cœur de l’agenda pour l’Education 2030 : le renforcement de l’équité entre les élèves dans l’enseignement supérieur. La problématique a été analysée à un niveau national (la France), et au niveau international via des données quantitatives et qualitatives.


Voir le débat stratégique dans son intégralité.

Que faire pour renforcer l’équité ?

Lors du Débat Stratégique, l’intervenant Pierre Mathiot, Professeur de science politique à Sciences Po Lille et délégué ministériel aux Parcours d’excellence auprès de la ministre de l’Éducation nationale, a dressé un état de lieux de l’équité entre les élèves scolarisés en France. Il a présenté également le Programme d’études intégrées (PEI), un dispositif développé à Sciences Po Lille et qui a démarré en 2007 afin de contribuer au renforcement de l’équité dans l’enseignement supérieur. 

Depuis une trentaine d’années « le nombre d’étudiants a explosé de manière significative. Mais cette augmentation massive ne s’est pas accompagnée d’une augmentation conséquente des enfants de milieux modestes dans les filières les plus sélectives du système » a expliqué l’enseignant. En effet, en 1966, 45 % des enfants de cadres obtenaient le baccalauréat et 5 % des enfants d’ouvriers. En 2016, les chiffres étaient respectivement de 90 % et 45 %. En termes absolus, le progrès est évident. En termes relatifs, la réalité est toute autre : « la majorité d’enfants d’ouvriers obtiennent des bacs technologiques ou professionnels alors que la majorité d’enfants de cadres obtiennent un bac général » a indiqué Pierre Mathiot. Ainsi, en France s’opère très tôt un filtrage social, culturel et économique qui a de nombreuses répercussions sur l’équité dans l’enseignement supérieur. Les taux des enfants d’employés et d’ouvriers dans les filières les plus sélectives, telles que les écoles de commerce et les Écoles normales supérieures sont extrêmement bas, comme le présente le tableau suivant. En France, l’objectif formel est l’inclusivité, et il existe un attachement de principe à l’égalité. Cela dit l’élitisme empêche de fait les élèves des familles défavorisées d’accéder aux filières les plus sélectives. 

L’État a développé des dispositifs d’aide à l’orientation ainsi qu’un système centralisé d’orientation : Admission post-bac (APB). Selon le professeur de science politique, ces systèmes « renforcent finalement les inégalités liées notamment aux asymétries d’information ». Une analyse quantitative de l’enseignement supérieur permet de visualiser que dès l’orientation avant le bac s’opère une répartition stratifiée. 

Pour faire face à ces problématiques, Pierre Mathiot a développé en 2007 le PEI, qui accompagne des élèves des milieux modestes, avant même la fin du collège et jusqu’en Terminale (quatre ans) afin de les préparer le mieux possible à l’enseignement supérieur, quel qu’il soit. Ce dispositif est aujourd’hui, « le plus important programme d’égalité de chances en France » explique l’ancien directeur de Sciences Po Lille. Jusqu’à ce jour, 3 200 élèves ont été accompagnés. L’approche se matérialise par exemple par des tutorats organisés par des étudiants du supérieur qui encadrent les élèves modestes du secondaire, des visites dans des universités organisées pour ces mêmes élèves, des partenariats locaux université-écoles-associations. 

Pierre Mathiot souligne l’importance d’une logique « bottom-up ». En s’appuyant sur des expériences du terrain, comme le PEI, l’État peut parvenir à une prise de décision centrale plus adaptée : « les expériences de terrain doivent venir innerver la décision politique », souligne l’ancien directeur de Sciences Po Lille. En 2016, la ministre de l’Éducation, Najat Vallaud-Belkacem, lui a proposé de devenir délégué ministériel aux Parcours d’Excellence afin de faire du PEI une action publique systémique au niveau national.

L’enseignant explique qu’afin d’améliorer la situation d’équité actuelle et de diminuer le taux d’échec des élèves, il faut renforcer l’information des lycéens, travailler sur leur sentiment de légitimité et de confiance en soi. Mais aussi bien les préparer à l’après-bac pour maximiser leurs capacités d’adaptation et de réussite. Pour les années à venir, le PEI envisage d’accompagner un public plus large et plus diversifié de jeunes durant quatre ans et de renforcer des partenariats locaux. Pour juger de l’efficacité de ce programme, et des politiques publiques en général, le professeur de Science politique prône les évaluations qualitatives. 

Les autres pays s’en sortent-ils mieux ?

Après cette riche présentation, les discutants Michaela Martin, Spécialiste de programme à l'IIPE, et Manos Antoninis, Analyste principal de politiques pour le Rapport mondial de suivi sur l'éducation, sont intervenus

Michaela Martin a rappelé que les enfants de milieux défavorisés ne sont pas présents dans les mêmes proportions que ceux provenant des milieux favorisés, ils sont notamment sous-représentés dans les segments prestigieux de l’éducation supérieure. Elle s’est demandé si des politiques d’égalité de traitement étaient suffisantes ou s’il faudrait réaliser des politiques de discrimination positive plus contraignantes ? Comment contribuer à la réussite des bacheliers professionnels et technologiques qui se trouvent à l’Université ? Comment s’assurer que les parcours professionnels, tels les BTS, privilégient les bacheliers professionnels et techniques plutôt que les bacheliers généraux ? Enfin, faut-il généraliser ou approfondir le dispositif PEI ? Si on le généralise, c’est pour aller vers le plus grand nombre. Si on l’approfondit, c’est pour cibler des élèves qui seront accompagnés, concentrer les efforts sur un petit nombre et développer des approches plus diversifiés pour les aider. Elle a émis des recommandations pour l’universalisation du dispositif PEI : il faudrait envisager des partenariats entre lycées et institutions d’enseignement supérieur, augmenter le tutorat par étudiants de l’enseignement supérieur, et améliorer les centres d’orientation et de conseil pour déjouer l’asymétrie de l’information.  

Manos Antoninis a fait le lien entre la situation française et celles d’autres pays à travers deux facteurs clés : les indicateurs d’inégalité et l’accessibilité économique (frais d’inscription, bourses…). Le Rapport mondial de suivi sur l'éducation a analysé des jeunes âgés de 25 à 29 ans dans 76 pays. Les résultats démontrent que seulement 1 % de la population la plus défavorisée (quartile inférieur selon le critère du revenu), avait achevé une formation diplômante en 4 ans, alors que ce taux grimpe à 30 % dans la population la plus favorisée (quartile supérieur selon ce même critère). Il a expliqué qu’il y a encore beaucoup de progrès à faire et beaucoup de données à recueillir afin d’avoir une vision plus claire de la situation de l’équité dans l’enseignement supérieur à travers le monde. Concernant la question d’accessibilité économique, Antoninis a expliqué que les coûts de l’enseignement supérieur sont de plus en plus supportés par les ménages. En moyenne, dans les pays européens 15 % des revenus des universités proviennent des ménages, alors que hors Europe, les ménages couvrent de 40 à 50 % du coût total de l’éducation supérieure. L’analyste a conclu son intervention en indiquant que face à l’augmentation rapide de la demande d'enseignement supérieur, les gouvernements doivent veiller à ce que tous les groupes puissent accéder à des programmes abordables. Les États font face à de grands enjeux en termes d’équité dans l’accès au Supérieur.

La question de l’équité entre les élèves dans l’enseignement supérieur a été abordée à travers deux approches différentes. D’un côté, l’intervenant Pierre Mathiot, a exposé le cas particulier de la France et a présenté le PEI, un dispositif qui vise à renforcer l’équité entre les élèves dans l’enseignement supérieur à travers une approche « bottom up » qui prône des analyses qualitatives. De l’autre côté, Manos Antoninis a exposé les résultats du Rapport mondial de suivi sur l’éducation concernant les indicateurs d’inégalité et d’accessibilité économique. De manière générale, les interventions durant le Débat Stratégique ont démontré qu’en termes relatifs il y reste encore d’importants progrès à réaliser concernant l’équité entre les élèves dans l’enseignement supérieur.