Un tronc commun d’acquis scolaires : la solution pour garantir l’égalité ?

26 Juillet 2019

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©CHARLOTTE KESL/WORLD BANK PHOTO/LICENSE: HTTPS://CREATIVECOMMONS.ORG/LICENSES/BY-NC-ND/2.0/LEGALCODE

Par Pablo Cevallos Estarellas, Alina Kleinn, et Maia Domnanovich, IIPE Buenos Aires

En Amérique latine, des réformes de l’enseignement secondaire ont involontairement reproduit les inégalités sociales. Un tronc commun d’acquis scolaires pourrait-il inverser la tendance ?

 

Au début du XXIe siècle, la plupart des pays d’Amérique latine se sont engagés dans des réformes ambitieuses de leur enseignement secondaire. Ces réformes – qui avaient pour but d’universaliser l’enseignement secondaire en le rendant obligatoire – ont eu des motivations diverses telles que préparer les élèves à faire leur chemin dans la société du savoir, accroître la productivité et la compétitivité sur les marchés mondiaux, ou encore améliorer la qualité de la démocratie. Plus généralement, les réformes ont suivi la tendance générale qui vise à offrir un accès égal pour tous à l’éducation.

Près de deux décennies plus tard, les résultats de ces réformes sont mitigés. En 2015, en moyenne à peine plus de 50% de la population âgée de 25 à 35 ans avait suivi un cycle secondaire complet dans l’ensemble de l’Amérique latine (IIEP SITEAL, 2018). Si les taux de scolarisation récents laissent présager une progression des chiffres dans le futur, les faibles taux d’achèvement du cycle secondaire complet et les taux élevés de décrochage scolaire continuent à freiner l’universalisation de l’enseignement secondaire. Le plus inquiétant, toutefois, est que l’achèvement du cycle secondaire complet semble corrélé, en Amérique latine, au milieu socio-économique des élèves. On ne dispose pas toujours de données désagrégées, mais quand c’est le cas, elles font apparaître de sérieux problèmes d’équité. Au Mexique, par exemple, les taux de scolarisation des populations rurales et autochtones sont nettement inférieurs à la moyenne (Weiss, 2012), tandis qu’en Uruguay, le taux d’achèvement du secondaire premier cycle chez les élèves issus des milieux défavorisés n’atteint même pas la moitié de celui des autres élèves ; et ce fossé s’élargit encore dans le secondaire deuxième cycle (De Armas & Retamoso, 2010).

Pour s’attaquer à ces problèmes d’équité, plusieurs pays de la région ont lancé des programmes qui visent spécifiquement à aider les élèves issus des couches les plus défavorisées de la société à accéder à l’enseignement secondaire et à y suivre l’intégralité du cycle. Ces programmes peuvent prendre différentes formes, mais quand ils visent à réintégrer des élèves qui ont quitté le système sans diplôme d’enseignement secondaire, ils proposent généralement des filières alternatives, parallèles à l’école secondaire classique. Les élèves y reçoivent un enseignement accéléré plus court ou peuvent obtenir un diplôme sans avoir suivi la totalité du programme scolaire

Si ces programmes semblent a priori une bonne stratégie pour renforcer l’équité, en aidant des élèves qui ont du mal à se maintenir dans un système éducatif destiné à l’origine à une petite élite de futurs étudiants d’université, ils sont problématiques pour deux raisons. Tout d’abord, la création de programmes éducatifs spéciaux pour un profil spécifique d’élèves laisse supposer que ce sont les caractéristiques de ces élèves (comme le fait d’être défavorisé ou vulnérable), et non le système éducatif, qui sont responsables de leur incapacité à suivre la filière « normale » de l’enseignement secondaire (Nobile, 2016). On peut donc considérer ces programmes comme des politiques « de fortune », qui traitent les symptômes du manque d’équité au lieu de s’attaquer aux origines de l’exclusion, lesquelles sont liées à la forme et à la structure mêmes de l’enseignement secondaire.

Ensuite, ces programmes renforcent l’un des principaux freins à l’équité qui résulte des réformes de l’enseignement secondaire en Amérique latine: l’existence d’une pluralité de filières du secondaire, dotées chacune de sa finalité et de son programme d’études. Cette diversité contribue à la reproduction des inégalités dans la mesure où certaines filières ont tendance à être suivies par certaines couches de la société et, dans certains cas, ciblent même explicitement des groupes de population spécifiques. Si, en Amérique latine, la plupart des lois sur l’enseignement secondaire assignent à cet enseignement des objectifs d’apprentissage globaux et universels, dans plusieurs pays les dispositions relatives aux filières ciblant des populations spécifiques fixent des objectifs moins ambitieux. Les filières destinées aux populations rurales du Brésil et de la Colombie, par exemple, ont des programmes d’études axés sur l’agriculture, voire sont encore plus spécialisés, selon ce que l’on juge le plus pertinent dans le contexte géographique considéré et pour la croissance économique nationale. Par contre, l’accès à l’enseignement supérieur n’est pas mentionné parmi les objectifs. Au Mexique, les élèves de la filière rurale, de l’enseignement à distance et de la filière destinée aux populations autochtones ont obtenu de moins bons scores au test PISA 2009 que les élèves des autres filières (Weiss, 2012).

De manière générale, de même que la diversification excessive des filières de l’enseignement secondaire fait obstacle à l’équité dans l’éducation, proposer des filières « alternative s» supplémentaires aux élèves qui ont du mal à suivre le cycle secondaire ne prend pas en considération le fait que la diversification de l’offre éducative – en termes de contenu thématique, mais aussi de qualité et d’ambition des objectifs d’apprentissage – est précisément à l’origine de la reproduction des inégalités dans les sociétés d’Amérique latine.

On imagine difficilement un système scolaire primaire dans lequel certaines écoles enseigneraient des disciplines sociales, les sciences naturelles, les langues vivantes et les mathématiques, tandis que d’autres supprimeraient certaines de ces disciplines au profit d’un programme plus spécialisé. Avec un niveau d’étude obligatoire universel, on attend de toutes les écoles qu’elles permettent aux élèves d’acquérir les mêmes connaissances et compétences de base. Compte tenu de la généralisation de l’enseignement secondaire obligatoire dans le monde, il est essentiel que la notion de tronc commun d’acquis scolaires aille de soi (indépendamment des spécialisations que les élèves peuvent choisir en plus), comme c’est le cas dans l’enseignement primaire.