Une seconde chance : des services éducatifs pour les réfugiés syriens de Jordanie

25 Juin 2019

Près de la moitié des 650 000 Syriens qui se sont réfugiés en Jordanie pour fuir la guerre sont des enfants. On les trouve en grande majorité en zone urbaine et, selon le HCR, plus de 85% d’entre eux vivent en dessous du seuil de pauvreté. Dans ce contexte difficile, le ministère de l’Éducation œuvre sans relâche pour donner à toute personne résidant en Jordanie la possibilité de s’épanouir. 

Dans cet entretien avec le ministère de l’Éducation jordanien, Najwa Alqubelat, responsable de la Direction de la planification et de la recherche en éducation, Yousef Abu Al-Shaer, responsable de la Direction de la recherche en éducation, et Adnan Al-Omari, chercheur, évoquent les difficultés profondes rencontrées ainsi que les diverses initiatives prises pour offrir à tous la possibilité d’apprendre. 

Comment décririez-vous la situation actuelle de l’éducation pour les réfugiés de Jordanie, en particulier au niveau du secondaire ? 

Malgré des ressources et capacités limitées, le ministère de l’Éducation s’est engagé à offrir des services éducatifs à tous les enfants du royaume hachémite de Jordanie. Au cours des dernières décennies, la réponse du système éducatif à l’afflux de réfugiés en provenance des pays voisins a fortement pesé sur les infrastructures, mettant en évidence ses limites, avec un appauvrissement des ressources humaines et matérielles, et une détérioration de la qualité des services éducatifs offerts aux élèves. Cependant, pour permettre au système éducatif jordanien de mieux faire face au problème des personnes déplacées et de dispenser aux réfugiés un enseignement de qualité, le ministère de l’Éducation a coopéré avec des partenaires et des défenseurs du droit des enfants syriens déplacés en Jordanie pour qu'ils accèdent à l’éducation, conformément aux accords internationaux. La Jordanie a ainsi mis en place des services éducatifs gratuits et des incitations financières à l’intention des personnes déplacées afin de lutter contre le problème du décrochage scolaire pour raisons financières. Le Royaume a également facilité les procédures d’accueil des élèves non jordaniens dans les écoles jordaniennes afin qu’ils s’intègrent à la population scolaire jordanienne. De son côté, le ministère a mis en place un système de classes alternées lorsque les classes avaient atteint leur capacité maximale pendant les heures normales de cours, et il a ouvert des écoles dans les camps de réfugiés afin de leur offrir une éducation de qualité. Outre la lutte contre le décrochage scolaire pour raisons financières, le système éducatif et ses partenaires se sont attachés à offrir aux réfugiés toutes les opportunités possibles de bénéficier de services d’enseignement secondaire de grande qualité en dépit des nombreux obstacles rencontrés.

Quelles ont été les principales mesures prises par le ministère pour offrir des services éducatifs aux réfugiés ?

Le ministère jordanien de l’Éducation a travaillé en liaison étroite avec des organisations internationales pour offrir des services éducatifs aux jeunes réfugiés syriens. Il a, en particulier, pris des initiatives visant à les intégrer dans le système éducatif et à leur donner le droit d’apprendre. Le ministère a également, en partenariat avec de nombreuses organisations, apporté d’importantes modifications à ses plans stratégiques d’éducation afin d’élargir l’accès à l’éducation formelle, ouvrant des écoles dans les camps de réfugiés et augmentant le nombre de places dans les écoles normales grâce au système de classes alternées. Des devoirs et des cours de rattrapage sont proposés aux réfugiés pour compenser les heures de cours manquées et un soutien est apporté pour faciliter l’inscription des migrants sans papier dans les écoles. Parmi les autres initiatives, on peut citer la fourniture gratuite de manuels aux élèves en détresse, des campagnes publiques d’information pour encourager l’inscription dans les écoles, le recrutement et la formation d’enseignants temporaires (sous contrat) afin de faire face à la demande, et la mise en place de formations spécifiques à l’intention des enseignants pour leur apprendre comment aider les élèves en situation difficile. Ces initiatives, ainsi que d’autres mesures prises par le ministère, seul ou avec le soutien d’organismes internationaux dont l’IIPE, ont été engagées avec les ministères et institutions nationales concernés et ont permis d’intensifier les efforts pour intégrer les élèves réfugiés dans le système éducatif et leur offrir davantage de possibilités d’accéder à l’éducation formelle.

Quels sont les principaux enjeux au niveau du secondaire ?

L’afflux massif de réfugiés au cours des dernières décennies a provoqué une flambée de la demande de services d’éducation. Cela a posé un certain nombre de problèmes, notamment l’impossibilité, pour certains élèves, d’accéder à une éducation de qualité. Le ministère s’est donné pour mission de fournir des possibilités d’apprentissage à toute personne résidant en Jordanie, y compris les réfugiés, afin qu’ils puissent recevoir une éducation de qualité, conformément à la volonté gouvernementale de promouvoir une économie du savoir. Les infrastructures scolaires et leurs capacités d’absorption ont été parmi les principaux obstacles auxquels se sont heurtés ces efforts. Il a fallu notamment s’attaquer au problème de la forte densité d’élèves dans les écoles et aux difficultés que posaient l’ouverture d’un grand nombre d’écoles dans des locaux loués, ainsi que la construction et l’entretien de nouvelles écoles prenant en considération les besoins des élèves, y compris les besoins spéciaux. Une autre difficulté a été le décrochage scolaire pour raisons économiques, qui pousse les élèves à entrer sur le marché du travail faute d’incitation financière à rester à l’école. On trouve en outre peu d’informations sur les jeunes déscolarisés et sur le nombre de réfugiés en Jordanie à des périodes spécifiques. Ces problèmes freinent les efforts du ministère pour élaborer des programmes d’enseignement secondaire et proposer des spécialisations qui tiennent compte des besoins du marché du travail, ainsi que pour fournir les ressources humaines, les infrastructures et les moyens financiers nécessaires pour mettre en œuvre une planification stratégique optimale. 

Quelle différence y a-t-il entre l’éducation dispensée dans les camps de réfugiés et l’éducation dispensée à ceux qui sont intégrés dans le système éducatif hors des camps ?

Il n’y a aucune différence entre les services éducatifs fournis dans les camps et ceux fournis hors des camps. Les écoles ont été divisées en catégories : celles situées dans les camps, celles qui offrent des classes alternées et celles qui proposent un service du matin. Cela afin d'apporter un soutien et un financement appropriés à chaque type d’école. Les enseignants affectés aux écoles des camps sont employés sous contrat, après avoir suivi une formation. Les écoles qui proposent des classes alternées sont souvent situées dans les villes ou les villages, selon le nombre de réfugiés qui y résident, afin d'accueillir les cohortes importantes de réfugiés et d’élèves jordaniens. Les enseignants des écoles à classes alternées sont employés sous contrat. La durée des cours est raccourcie et les écoles sont ouvertes le samedi. Cela dit, il convient de souligner qu’il n’y a pas de différence de qualité entre l’enseignement dispensé dans les écoles situées dans les camps et celui dispensé dans les écoles ordinaires accueillant des élèves syriens. Le type de soutien apporté dépend du nombre de Syriens présents dans la région concernée. Le ministère s’est également employé à faciliter l’admission des enfants résidant en Jordanie, acceptant les élèves sans papier jusqu’à ce que leur situation soit régularisée et les dispensant des frais de scolarité.

Compte tenu de la durée des crises, le déplacement n’est généralement pas une situation temporaire et peut se prolonger pendant toute l’enfance. Quel impact cela a-t-il sur la fourniture des services éducatifs en Jordanie ? 

Malgré la nature des crises récentes dans la région, l’immigration n’est pas un phénomène nouveau pour le système éducatif jordanien. Cela fait des décennies que l’asile pose un réel défi au système éducatif ; en fait, il remonte aux années 1940. Ce n’est qu’en intégrant les initiatives en place et en s’appuyant sur sa grande expertise administrative et technique, ainsi que sur certaines organisations internationales, que le système éducatif a pu surmonter ces difficultés et offrir un enseignement de qualité malgré le manque de ressources. Cependant, en dépit de ces efforts locaux et de l’aide interne et externe reçue, l’afflux de migrants a eu un impact négatif sur la qualité et le développement des services éducatifs. La gravité des problèmes a varié dans le temps, de même que la capacité du ministère à les traiter et les surmonter afin que les élèves fréquentent l’école avec assiduité et restent dans le système d’éducation formelle. Un de ces problèmes est le taux de décrochage scolaire, imputable à diverses causes, notamment la nécessité pour les jeunes garçons de subvenir aux besoins financiers de la famille, et le mariage précoce des jeunes filles. 

Quel conseil donneriez-vous à un planificateur et/ou responsable de l’éducation d’un pays accueillant une forte population de réfugiés et de déplacés ?

L’expérience du ministère de l’Éducation en matière de prise en charge des afflux de réfugiés est un modèle depuis des décennies. Les efforts des responsables et les directives royales ont transformé des expériences difficiles et des crises profondes en exemples de réussite et ont contribué à l’adoption d’une d’approche qui permet au ministère de continuer à offrir aux élèves les meilleurs services éducatifs, notamment des possibilités d’apprentissage systématiques pour tous les réfugiés du pays. Il est absolument crucial d’élaborer et de mettre en œuvre des stratégies d’éducation ambitieuses, incluant notamment les partenariats avec les ministères et les agences locales qui ont des intérêts communs, afin que les responsables puissent gérer efficacement les crises de réfugiés, capitaliser sur les ressources humaines et matérielles disponibles et organiser la formation d’autres ressources humaines aux métiers de l’éducation. Il est en outre important, pour gérer toute crise du système éducatif, de s’appuyer sur une réflexion scientifique fondée sur des principes logiques et concrets. Cela pourrait signifier, par exemple, élaborer des plans de suivi et des règles strictes pour évaluer la qualité de la planification et de la mise en œuvre, tout en veillant à ce que les ressources humaines et matérielles soient utilisées de façon optimale, et aussi instaurer une communication directe avec les responsables pour les tenir informés. Enfin, le soutien permanent des organisations internationales de défense des droits humains et des donateurs est une source majeure à la fois de savoir et de finances sur laquelle il est possible de s’appuyer non seulement pour faire face à une crise de réfugiés, mais aussi pour gérer les ressources afin que les objectifs soient atteints avec le minimum d’efforts et de coûts.

 

Cet entretien a été traduit de l'arabe avec l'aide de Shérazade Mihoubi, Esraa Salim, et Farah Wael.