Cartographier Madagascar pour faire progresser la micro planification de l’éducation

30 Novembre 2021

shutterstock_1823484668.jpg

vladivlad / Shutterstock.com
Des enfants qui jouent en rentrant de l'école dans le centre de Madagascar.

Et si on demandait à la communauté UN Mappers de soutenir la planification de l’éducation ? Cette idée est née dans le cadre d’une collaboration avec le ministère de l’Éducation nationale de Madagascar. Alors que l’IIPE-UNESCO cherche à tester son outil d’analyse de la sectorisation autour des écoles, les données routières manquantes compromettent le projet. Grâce à un mapathon et à l’engagement de près de 900 contributrices et contributeurs, 9845 kilomètres de routes sont cartographiées en quelques semaines dans la région de Vakinankaratra. Résultat : 97% des écoles sont maintenant raccrochées aux données du réseau routier, contre à peine plus de la moitié au départ.

Utiliser les données géospatiales pour éclairer la planification de l’éducation

Comment les planificatrices et planificateurs peuvent-ils identifier les zones les plus adaptées pour construire de nouvelles écoles dans leur pays, ou améliorer l'accès aux établissements existants ? Comment déployer plus équitablement les enseignants et les ressources pédagogiques ? Ces questions sont au cœur du travail de l’équipe de l’IIPE en charge du programme de développement. Ces derniers mois, plusieurs solutions innovantes d’analyse des données géospatiales ont ainsi été développées avec des responsables de la planification dans différents ministères de l’Éducation, en collaboration avec des partenaires techniques et universitaires. Il ne manquait plus qu’à confronter ces nouveaux outils à d’autres contextes.

Suite à un appel de l’IIPE lancé au printemps 2021, la direction de la planification du ministère de l’Éducation nationale de Madagascar s’est portée volontaire pour bêta-tester les prototypes. La région de Vakinankaratra, au centre du pays, est alors choisie comme territoire pilote.

« Les applications développées par l’IIPE nous permettent de visualiser des données très diverses sur une carte ou une plateforme web, à toutes les échelles du système éducatif. Ces outils de spatialisation nous serviront à préparer les prochaines rentrées scolaires, notamment pour prioriser l’allocation et la réallocation des ressources et organiser les réseaux scolaires. »


Jullino Serge Rasamison, Directeur de la planification, ministère de l’Éducation nationale de Madagascar et Alumnus 2016 du cours de Planification du secteur de l’éducation de l’IIPE-UNESCO

Des isochrones pour améliorer la sectorisation

Les aires de recrutement sont des petites zones géographiques susceptibles d’être utilisées par les ministères pour planifier la demande, l’offre et l’accès à l’éducation. L’outil expérimenté à Madagascar permet de calculer la distance et le temps de trajet à pied des enfants en âge d’être scolarisé jusqu’à leur école. Avec cette méthodologie, les aires de recrutement ne sont plus de simples cercles tracés sur une carte autour des établissements scolaires, comme c’était le cas auparavant pour définir la sectorisation. Le principe des isochrones permet désormais d’établir le temps de marche réel, en tenant compte du relief ou des éventuels obstacles auxquels sont confrontés les élèves quand ils vont à l’école. Visualisées sur une carte, les aires de recrutement prennent donc des formes très variables.

« Pour cet outil, nous avons volontairement choisi d’utiliser les données ouvertes du réseau routier, car il ne s’agit pas forcément de trouver les trajets les plus courts pour que les élèves se rendent à l'école, mais les chemins les plus sûrs », explique Amélie A. Gagnon, Responsable du développement de l’IIPE.

Comment combler les données manquantes ?

Dès le début de la phase pilote à Vakinankaratra, l’outil d’analyse de la sectorisation se heurte à une difficulté : une grande partie des données du réseau routier ne figure pas dans la base de données d’OpenStreetMap, le « Wikipedia des cartes ». Par conséquent, 43 % des écoles de la région ne sont pas prises en compte par l’algorithme. C’est tellement énorme que l’équipe de l’IIPE et ses partenaires auraient pu baisser les bras… Rapidement, ils se rendent compte qu’il manque de nombreuses routes et chemins non pavés sur la carte. Mais puisque OpenStreetMap est une plateforme collaborative, pourquoi ne pas faire appel à un partenaire et à des volontaires pour les cartographier ? Sollicités par l’Institut, les confrères d’UN Mappers acceptent de venir en renfort.

UN Mappers est une communauté de passionnés de cartographie. Elle fait partie de l'Initiative Unite Maps, dirigée par le Centre de services mondiaux des Nations unies (UNGSC), qui fournit des services géospatiaux et cartographiques aux missions de maintien de la paix des Nations unies. Parmi les membres de UN Mappers, on compte des personnels des Nations unies, mais aussi de nombreux citoyens volontaires. Leur rôle consiste à collecter et valider des données géospatiales ouvertes dans les zones où les Nations Unies mènent des opérations sur le terrain, par l’intermédiaire d’OpenStreetMap. Cinq missions sont actuellement en cours en Afrique sub-saharienne, pour soutenir les activités opérationnelles quotidiennes.

Un mapathon pour lancer une campagne collaborative de ‘mapping’ de Vakinankaratra

Quelques semaines plus tard, fin octobre 2021, un mapathon est organisé par UN Mappers, en collaboration avec le ministère de l’Éducation de Madagascar, la communauté malgache d’OpenStreetMap et l’IIPE. L’événement rassemble 100 participantes et participants, dont 50 contributrices et contributeurs actifs. Pendant trois heures, ils cartographient sans relâche la région de Vakinankaratra sur OpenStreetMap, en retraçant les données des images satellites. Ce jour-là, 1500 kilomètres de routes apparaissent sur la carte au terme du mapathon. Suite à cet événement, la campagne de mapping s’est poursuivie, permettant à la communauté UN Mappers de terminer le travail cartographique et de valider les données. A ce jour, près de 10 000 kilomètres de route ont été cartographiées dans le cadre de ce projet, par 891 bénévoles.

« Cette expérience avec l’IIPE-UNESCO est différente de ce qu’UN Mappers fait habituellement », explique Michael Montani, Coordinateur de la communauté, et Consultant en systèmes d'information géographique au sein de l’UNGSC. « C’est notre première collaboration avec une autre entité des Nations unies pour un projet d’édition d’OpenStreetMap, dans un but autre que le maintien de la paix. J'espère que c’est la première d'une longue série d'activités de coopération entre les entités des Nations unies dans le domaine de la cartographie ouverte. »

Vous voulez apporter votre contribution ? Participez aux campagnes UN Mappers !

2650 écoles désormais connectées au données du réseau routier

Dans les cartes ci-dessus, les points bleus correspondent à la localisation des écoles primaires non connectées aux données du réseau routier. « Après la campagne de mapping, seules 3 % d’entre elles restent non couvertes, soit 91 établissements scolaires sur 2738 », se réjouit Özge Minel Özcan, Consultante pour le programme de développement de l’IIPE.

L'impact de la campagne de cartographie sur la connectivité routière est aussi clairement visible sur la carte elle-même, ici autour de deux écoles de Vakinankaratra. Grâce à la campagne, les données du réseau routier d'OpenStreetMap se rapprochent du réseau routier réel, comme le montre l'image satellite de Google.

À Madagascar, une norme nationale indique que la distance entre deux écoles doit être supérieure à deux kilomètres et la durée de trajet entre un village et l'école ne doit pas excéder 30 minutes de marche. « Cet outil nous permet de localiser les établissements sur la cartographie en fonction de ces critères. Cela nous aide ainsi à déterminer la localisation des futures ouvertures d’établissements dans les zones non pourvues et d’identifier les établissements saturés », ajoute Jullino Serge Rasamison, le Directeur de la planification.

Un impact au-delà du domaine de l’éducation

Pour le ministère, ce même réseau routier est susceptible d’être utilisé pour d’autres motifs. « Outre le temps et la distance de marche des élèves, l’outil d’analyse de la sectorisation peut éclairer les décisions relatives aux circuits d’inspection des enseignants ou aux livraisons des repas et des matériels scolaires », explique Özge Minel Özcan. Mais l’impact de ce mapathon va même au-delà des nouvelles perspectives offertes dans le domaine de la planification de l’éducation. Basées sur une cartographie ouverte et gratuite, les données du réseau routier de Vakinankaratra sont désormais accessible par tous et pour tous, comme un bien public mondial.

En savoir plus sur le développement technique de l’outil d’analyse de la sectorisation

L’équipe du programme de développement de l’IIPE-UNESCO a élaboré une méthodologie spécifique pour analyser la sectorisation sur la base des isochrones, c’est-à-dire le temps de marche pour accéder à une école, quelle que soit la distance. Sur la base de cette méthodologie, un outil pratique a été développé, permettant de visualiser les données sur une carte et en faciliter le pilotage.

GISPO Finland est intervenu comme partenaire technique pour le développement de cette application innovante. En particulier pour la conception d’un plugin, permettant de brancher l’outil à QGIS, un logiciel d’analyse des données géospatiales.

Basée sur des logiciels, sur des cartes et sur des codes libres, ce projet reflète l'intention de l'IIPE de rendre ses approches techniques accessibles à tous les planificateur·trices et gestionnaires de l'éducation, sans avoir à acheter des images satellites, à investir dans le traitement de l’intelligence artificielle ou à acquérir des licences.

Découvrir la méthodologie complète (en anglais)

Deux autres outils de l’IIPE intégrant des données géospatiales sont actuellement testés dans la région de Vakinankaratra.

  • Le premier permet d’attribuer aux infrastructures éducatives un indice de risque naturel allant de 1 à 5. Sur une carte, les planificateurs peuvent ainsi visualiser le niveau de vulnérabilité de chaque école, face aux risques de cyclones, de crues ou de sècheresse.
  • Le second donne une estimation de la densité de population d'âge scolaire par rapport à la capacité des écoles, au plus petit niveau administratif du pays ("fokontany"). Fondée sur le modèle des multiplicateurs de Sprague, cet outil permet d’anticiper la demande potentielle des services éducatifs.