De l’Afghanistan à l’Australie, le parcours d’un planificateur de l’éducation formé à l’UNESCO

27 Avril 2023

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timsimages.uk/Shutterstock.com
Des enfants au Helmand, en Afghanistan.

Rauf Abdulhaq, ancien participant au programme de formation de l'Institut international de planification de l'éducation (IIPE-UNESCO), occupe depuis quelques semaines le poste de responsable de mission au ministère de l'Éducation du Queensland, en Australie. Il s’est attaché à s'adapter non seulement à un nouveau rôle, mais aussi à un nouveau système éducatif, et un nouveau pays. 

Peu après l'arrivée au pouvoir des talibans en Afghanistan en août 2021, Rauf a quitté son pays, et le système éducatif qu'il avait mis des années à faire progresser. 

« J'ai participé à l'élaboration de politiques et de stratégies éducatives, y compris pour l'éducation des filles, l'éducation communautaire et l'apprentissage de la lecture en début de scolarité », explique-t-il en évoquant ses années passées au ministère de l'Éducation à Kaboul. « Toutes ces politiques me tiennent tellement à cœur, et il est vraiment dommage qu'elles ne soient pas mises en œuvre aujourd'hui. »

Avant la prise de pouvoir par les talibans, le système éducatif s'était ouvert à des millions de jeunes Afghans, y compris des filles. De 2001 à 2021, avec le soutien de la communauté internationale et notamment de l'UNESCO, le pays a vu ses effectifs décupler à tous les niveaux de scolarité, passant d'environ 1 million d'élèves - tous des garçons - à environ 10 millions, dont 39 % de filles, 

« Tous ces efforts sont en réalité inversés aujourd'hui », déclare Rauf. 

Depuis mars 2022, 1,1 million de filles du secondaire sont bloquées jusqu'à nouvel ordre. Les femmes se voient également refuser l'accès aux universités, ce qui suscite des inquiétudes quant à une génération perdue. 

Aujourd'hui, à plus de 11 000 kilomètres de l'Afghanistan, Rauf dit qu'il s'adapte à sa nouvelle vie, et s'engage à continuer la lutte pour une éducation de qualité pour toutes et tous. Il applique également ce qu'il a appris à l'IIPE et tout ce qu'il a accompli en Afghanistan dans le cadre de son nouveau rôle au sein de la Schools and Students Support division (division de soutien aux écoles et aux étudiants) dans le Queensland. 

Rauf a commencé sa carrière dans l'éducation en Afghanistan à l'Institut national de planification de l'éducation (NIEP), que l'IIPE-UNESCO a aidé à établir en 2015, à l'époque où il s’agissait du Département de planification de l'éducation au sein de l'Institut national de gestion et de comptabilité. 

Formateur et spécialiste de la planification de l'éducation, il a contribué à faire du NIEP un centre de formation à part entière, qui a formé des centaines de responsables de la planification de l'éducation au niveau central et provincial, notamment dans le cadre d'un programme destiné aux femmes diplômées de l'enseignement secondaire.  

Après avoir travaillé avec l'IIPE à l'élaboration du programme d'études du NIEP, Rauf a suivi son premier cours avec l'IIPE : une formation courte spécialisée sur les systèmes d'information pour la gestion de l'éducation (SIGE). Un an plus tard, il a rejoint le programme de formation approfondie de l'IIPE, de niveau master, et a passé six mois à Paris, en France, en 2016. 

« J'ai rencontré des planificateurs et planificatrices du monde entier qui ont apporté des perspectives différentes à ce que nous avons appris à l'IIPE », dit-il, ajoutant qu'ils restent en contact et se rencontrent régulièrement. « Aujourd'hui, ce sont tous des acteurs du changement dans leurs pays et leurs contextes respectifs. » 

À son retour en Afghanistan, Rauf a eu l'occasion de mettre ses nouvelles compétences à l'épreuve. Alors que le ministère élaborait son troisième plan stratégique de l'éducation nationale (National Education Strategic Plan, NESP), en collaboration avec l'IIPE, Rauf a été chargé de l’examen et du tri des données d'un modèle de simulation, utilisé pour évaluer le coût de différents choix politiques. 

« C'était la première fois que j'ai pu avoir une vue d'ensemble », explique-t-il. « J'ai ensuite participé à l'élaboration du NESP et, un an plus tard, j'ai été nommé chef de la section chargée de l'élaboration des politiques au sein du département de la planification. »

Rauf a également participé à la réforme du système éducatif qui a débuté en 2017, en collaboration directe avec le président afghan de l'époque, Ashraf Ghani, et le ministre de l'Éducation par intérim. 

« J'attribue une grande partie du mérite à ce que j'ai appris à l'IIPE, en termes d'idées, d'orientations politiques, de procédures et de processus susceptibles de guider l'avenir du système éducatif. »

Peu après, Rauf a rejoint le bureau de l'UNESCO en Afghanistan en 2018, en tant que Chargé de programme senior au sein de la section sur l'éducation. « C'était une excellente occasion de revenir à la planification de l'éducation avec une nouvelle perspective », explique-t-il. « J'ai facilité de nombreuses discussions entre les partenaires de développement et les donateurs pour assurer un alignement sur les domaines prioritaires tels que l'éducation des filles, l'éducation communautaire et les programmes scolaires. »

« Chaque effort compte »

Aujourd'hui, Rauf sait que nombre de ces politiques ne verront jamais le jour. Toutefois, par l'intermédiaire de certaines universités australiennes, il s'efforce de soutenir les possibilités d'apprentissage à distance pour les filles et les femmes d'Afghanistan ayant accès à l'électricité et à internet. « C'est le moins que je puisse faire, mais chaque effort compte », affirme-t-il. 

Alors qu'il n'était qu'un enfant lors du premier régime taliban, M. Rauf affirme que l’interdiction faite aux femmes d'accéder à l'éducation a eu des conséquences palpables pendant des années. « J'ai vu les difficultés auxquelles les femmes étaient confrontées après avoir été privées d'éducation pendant des années. Mon cœur saigne encore pour les millions d'enfants, en particulier les filles, qui n'ont pas accès à l'éducation et sont contraints de rester à la maison et de ne pas réaliser leurs rêves. »

Mais il essaye de rester optimiste. « Même si de nouvelles restrictions apparaissent chaque jour, j'espère que nous serons tous en mesure d'ouvrir la voie à un avenir meilleur pour cette génération. »

Au regard des événements de ces dernières années, M. Rauf estime que l'éducation est peut-être plus nécessaire que jamais. Il pense également que l'éducation - et la planification - doivent évoluer avec la dynamique changeante du monde actuel. 

« Nous avons besoin de l'éducation pour construire un monde pacifique, pour la tolérance, la résilience, et pour partager cette sensibilisation avec les générations futures », déclare-t-il. « Mais cela ne peut se faire sans une planification et une élaboration de politiques adéquates et efficaces, tout en intégrant des ressources du monde entier pour que l'éducation soit de qualité, accessible et équitable. »

 

Réflexions sur l'engagement de l'IIPE en Afghanistan 

Dans les années qui ont suivi la chute des Talibans en 2001, l'IIPE-UNESCO a mis en œuvre trois grands programmes successifs de coopération technique avec la direction de la planification du ministère afghan de l'Éducation, grâce à un financement durable et à long terme de la Norvège, du Danemark et de la Suède. 

Morten Sigsgaard, responsable de l'équipe nationale au Secrétariat du Partenariat mondial pour l'éducation (GPE) et ancien responsable de la collaboration de l'IIPE avec l'Afghanistan, revient sur son travail avec Rauf et sur l'impact de cet engagement à long terme. « Rauf, qui possédait un ensemble de qualités personnelles et professionnelles extraordinaires et une curiosité intellectuelle sans limite, était le produit d'un écosystème unique de développement des capacités au département de planification du ministère afghan de l'Éducation, que l'IIPE a eu la chance de soutenir pendant plus d'une décennie. 

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Dirigé par un directeur général de la planification exceptionnellement compétent et intelligent, ce département comptait plus d'une douzaine d'employés formés dans le cadre du Programme de formation approfondie de l'IIPE et d'autres programmes, où ils ont acquis une exposition internationale et une approche commune de la planification et de la gestion de l'éducation. 

Après l'IIPE, ils ont notamment repris leurs fonctions au sein de leur ministère, travaillant dur et se soutenant mutuellement en tant qu'équipe. Nombre d'entre eux ont été promus et sont devenus des personnes ressources, au sein du ministère lui-même, dans les cercles internationaux d'élaboration des politiques à Kaboul, et en formant des centaines de planificateurs et de planificatrices au niveau provincial à l'Institut national de planification de l'éducation. 

Le programme de l'IIPE en Afghanistan est un bel exemple de développement des capacités réussi, dont les accomplissements de Rauf et de ses collègues sont l’exemple concret. »