Les évolutions de carrière, un facteur de motivation pour les enseignants ?

03 Avril 2018

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Barbara Tournier/IIEP-UNESCO.
A sign in a principal's office in a New York City School.

On dit souvent que les enseignants sont la clé d’un système éducatif réussi. Leur motivation est cependant en berne dans le monde entier, ce qui se traduit dans de nombreux ministères par la difficulté à recruter des personnes compétentes et motivées et à les inciter à rester. Il existe plusieurs raisons à ce phénomène, dont l’absence d’évolution professionnelle, des salaires bas qui augmentent peu, et des conditions de travail globales peu satisfaisantes.

Face à cette situation, l’Institut international de planification de l’éducation de l’UNESCO s’est demandé si une refonte des structures de carrière et de la gestion des enseignants pourrait être la solution qui permettrait de redynamiser la profession.

Quelques éléments contextuels

On s’accorde généralement à dire qu’il est souhaitable d’accorder une plus grande reconnaissance aux enseignants, mais les formes que prend cette reconnaissance, elles, ne font pas l’unanimité. Selon certains responsables politiques, la solution consiste à aligner les salaires des enseignants sur les résultats de leurs élèves. C’est sans doute l’option la plus évidente, mais ce n’est pas la bonne.

Des études en psychologie de la motivation indiquent que dans ce domaine, l’argent a ses limites. Précisons même que lorsque les salariés ont le sentiment que c’est le système de rémunération qui contrôle leur carrière, la paye au résultat peut nuire à leur motivation sur le long terme.

Les systèmes les plus prometteurs sont ceux qui offrent aux enseignants des perspectives d’évolution professionnelle tout en leur permettant de rester dans la salle de classe. Parmi ces systèmes, on a beaucoup mis en avant ce qu’on appelle les tealles de carrière (voir image ci-après, en anglais).

Échelle de carrière de Singapour :


 
Dans ces systèmes, les salaires progressent jusqu’à un certain point, au-delà duquel les enseignants doivent passer une évaluation et assumer davantage de responsabilités. Résultat : les enseignants motivés peuvent prendre en main leur propre évolution professionnelle et postuler à de nouvelles fonctions sans nécessairement quitter la salle de classe.

 

 

De New York à l’Afrique du Sud, deux exemples de perspectives plus larges

New York et l’Afrique du Sud (les deux études de cas sur lesquelles s’est penché l’IIPE) sont deux exemples de systèmes qui ont tâché d’élargir les perspectives professionnelles des enseignants.

La structure de carrière des enseignants mise en place à New York allie deux systèmes : un régime salarial unique avec des augmentations annuelles, et des plans de carrière qui donnent aux enseignants des possibilités d’évolution verticale et horizontale. Les enseignants désireux de progresser dans leur carrière tout en restant dans la salle de classe peuvent candidater à trois postes de Teacher Leader (« enseignant principal »), chacun assorti de responsabilités et de salaires différenciés : Model Teacher (« enseignant expérimentateur »), Peer Collaborative Teacher (« enseignant collaborateur ») et Master Teacher (« maître enseignant »).

En Afrique du Sud, les enseignants ont le choix entre plusieurs filières : « enseignement et apprentissage » (afin d’évoluer dans leur fonction d’enseignant, dans la salle de classe), « gestion et encadrement » (ce qui leur permet d’accéder à des postes de gestion et d’encadrement dans les établissements ou le système éducatif), et « recherche et élaboration de politiques » (une voie plus académique).

 

Autonomie concernant les choix de carrière

Dans ce contexte, l’autonomie se définit par la palette de choix qui s’offrent à l’enseignant pour orienter sa carrière. Selon notre étude, la possibilité de choisir différentes voies professionnelles est perçue comme quelque chose de positif tant à New York qu’en Afrique du Sud. Une majorité des enseignants ayant répondu à l’enquête étaient « d’accord » (41 %) ou « tout à fait d’accord » (30 %) avec l’affirmation selon laquelle ils contrôlaient l’orientation de leur carrière.

Cependant, dans les deux cas, les possibilités d’avancement professionnel sont limitées par des questions de conception et de mise en œuvre. Ainsi, à New York, les chefs d’établissement ne sont pas toujours en mesure d’employer des enseignants principaux en raison d’un budget restreint. En Afrique du Sud, rares sont ceux qui choisissent la filière « enseignement et apprentissage » car elle est sous-financée et ne propose pas une vraie évolution du rôle de l’enseignant.

 

Collaboration entre enseignants

À New York, les enseignants principaux et ceux qui travaillent avec eux ont fait état d’une meilleure collaboration globale, alors qu’ils étaient auparavant plus isolés dans leur salle de classe. Cette collaboration peut prendre la forme d’une visite d’observation pendant le cours d’un collègue, de réunions de groupe pour parler des travaux des élèves et des pratiques des enseignants, ou d’ateliers proposés par les enseignants principaux sur l’évolution professionnelle.

En Afrique du Sud, la conception des structures de carrière est moins axée sur la collaboration entre collègues qu’à New York. Le nombre restreint de promotions met même parfois les enseignants en concurrence.

 

Possibilités de perfectionnement professionnel continu

Des possibilités de perfectionnement professionel et d'amélioration pédagogique pour les enseignants évoluant dans leur structure de carrière aident également à renforcer la motivation. C'était en effet l'objectif principal du programme mis en place à New York. Cela a eu un impact sur le développement professionnel des enseignants principaux, mais aussi sur les enseignants qui travaillaient avec eux. Par exemple, un enseignant collaborateur a dit : "C'est une change de faciliter et aider les autres enseignants dans la classe, de ne pas être isolé. Je collabore beaucoup plus avec les autres enseignants. Cela fait de moi un meilleur enseignant." Les chefs d'établissements interrogés dans l'étude ont eux aussi constaté ce phénomène, et 91% d'entre eux étaient d'accord pour dire que "avoir des enseignants principaux dans notre école l'an dernier m'a aidé à construire des capacités pédagogiques".

Possibilités de perfectionnement professionnel continu à New York :



En revanche, en Afrique du Sud, bien que tous les enseignants doivent suivre un cycle de perfectionnement professionnel sur trois ans, celui-ci n’est pas lié à leur structure de carrière. Les enseignants ressentent une frustration liée au fait que la grande valeur accordée au perfectionnement professionnel continu dans le cadre de leurs devoirs professionnels ne se traduit pas toujours par une meilleure rémunération et de nouvelles perspectives.


Leçons tirées de la mise en œuvre : conception et approche

À New York, l’accent a été mis sur la création d’une culture de collaboration et de confiance dans les établissements. Pour ce faire, il a fallu passer d’un cadre axé sur la reddition de compte, dans lequel les enseignants faisaient l’objet de commentaires critiques, à un cadre de collaboration qui leur permet de parler plus ouvertement des défis auxquels ils sont confrontés. Cette transition, qui a eu lieu à l’échelon des établissements, a pris du temps.

Une échelle de carrière ne peut fonctionner sans définition claire des rôles et des critères à chaque échelon. À New York, l’équipe centrale a consacré beaucoup de temps à la définition de ces rôles, qui sont sans cesse recalibrés. En Afrique du Sud, l’idée de donner aux enseignants des possibilités d’évolution tout en restant dans la salle de classe a fini par se dissiper en l’absence de critères de promotion clairs dans la filière « enseignement et apprentissage ».

 

Leçons tirées de la mise en œuvre : administration et gestion

À New York, le ministère de l’Éducation du pays et le syndicat des enseignants (United Federation of Teachers) ont défini ensemble une vision quant à l’amélioration des pratiques d’enseignement, ce qui a apporté une grande cohérence au dispositif. Précisons que l’une des principales caractéristiques de ce programme, et qui en fait sans doute l’une de ses plus grandes forces, est la coopération continue entre le syndicat et le ministère. Les enseignants ont ainsi plus facilement adhéré au projet et la communication entre eux et le ministère s’en trouve facilitée.

S’il y a un autre élément à retenir de l’expérience new-yorkaise, c’est le suivi et le calibrage en continu de la structure de carrière. On a en effet adopté une méthode de mise en œuvre progressive, appliquant notamment une méthode d’apprentissage par la pratique (par exemple en ce qui concerne les rôles des enseignants). Résultat : le programme a pris de l’ampleur petit à petit et ses fondations étaient bien établies au moment de passer à l’étape suivante. Depuis le début, un budget est consacré au suivi plus officiel de la structure, avec des enquêtes longitudinales, des entretiens et des groupes de discussion.

Les chefs d’établissement sont eux aussi essentiels à la mise en place réussie de la structure de carrière. Il est fondamental qu’ils aient bien compris les objectifs et les moyens de mise en œuvre de la réforme.

Tant à New York qu’en Afrique du Sud, le financement est l’obstacle majeur qui empêche une mise en œuvre harmonieuse des structures de carrière. Sans compter qu’elles sont le reflet des inégalités du système éducatif : les écoles les plus aisées sont celles qui ont le budget nécessaire pour employer divers types d’enseignants. 

Observations finales

En conclusion, les structures de carrière offrant des possibilités d’évolution peuvent être un bon support pour encourager la collaboration entre enseignants et stimuler la motivation intrinsèque. Cependant, ce sont des réformes complexes qui nécessitent des ressources considérables, et il convient de les concevoir et de les mettre en place avec soin tout en prévoyant les capacités administratives, humaines et financières nécessaires.

Notre étude, qui sera mise à disposition sous la forme d’une série de notes de synthèse et d’étude de cas, parmi lesquels New York et l’Afrique du Sud, fournira un angle d’approche utile pour comprendre comment les pays organisent aujourd’hui les carrières de leurs enseignants et relèvent les défis propres à leur contexte national en matière d’enseignement. C’est en comprenant et en partageant ces expériences que les responsables politiques issus de divers pays seront en mesure de tracer une feuille de route mieux définie en vue de motiver leurs enseignants, de renforcer l’attrait de la profession et de les inciter à rester en poste.

 

Voir la présentation (en anglais) relative à cette étude proposé lors de l'événement CIES 2018 :