L’inspection de l’Education nationale, partenaire clé de la communauté éducative locale

11 Mars 2019

Eric Javoy est adjoint à l’inspectrice d’Académie - un poste de cadre supérieur du ministère de l'Éducation nationale – dans le département de l'Yonne, en France.

En tant qu'inspecteur, Eric Javoy coordonne et met en œuvre la stratégie éducative de l'Académie dans les écoles primaires, en tenant compte des spécificités du territoire. Eric Javoy s'intéresse particulièrement aux questions liées à la formation et au soutien des enseignants, ainsi qu'à la gouvernance des ‘territoires apprenants’. 

Dans le cadre du cours de deux semaines de l'IIPE, Organisation et gestion du secteur de l'éducation : systèmes et institutions en avril 2018, Javoy a partagé les réflexions suivantes sur l'évolution du rôle de l’inspection. 

IIPE : Le rôle de l’inspection de l’Education nationale a-t-il été modifié par les vagues successives de décentralisation ?

Eric Javoy : La décentralisation en France est un phénomène réel mais parfois en trompe l’œil. Initialement très centralisée, l’Education nationale a transféré davantage de pouvoir aux régions et aux académies à travers le territoire. Au sein de ces académies, on observe toutefois, parfois, un phénomène inverse de re-centralisation, avec la reproduction du schéma national à l’échelle de la région. L’Etat reste très prégnant sur les territoires et le ministre, en charge des sujets pédagogiques, conserve un rôle direct vers les enseignants. 

Le métier d’inspecteur a en effet évolué avec la décentralisation, en passant progressivement d’une dynamique injonctive, directive, vers un rôle d’accompagnement des personnels enseignants, et de partage d’expérience.  Il y a dix ans, l’inspection engageait un dialogue du « pourquoi » avec les enseignants, alors qu’aujourd’hui la question est plutôt celle du « comment » les enseignants font leur métier.  

IIPE : Quelle relation entretenez-vous avec les différents chefs d’établissements scolaires que vous encadrez ? 

Eric Javoy : Les modalités de la collaboration entre inspection et chef d’établissement sont spécifiques à chaque niveau d’enseignement. Dans l’enseignement primaire, pour lequel nous avons un nombre très élevé de directeurs d’école, le défi de notre collaboration est lié au maintien d’une bonne liaison avec les territoires. Avec un ratio d’un inspecteur pour 70 directeurs répartis sur un territoire dispersé, la tâche est complexe. La difficulté dans l’enseignement secondaire réside davantage dans la liaison entre l’environnement du collège et celui du lycée. L’enjeu de notre pilotage est de parvenir à rapprocher ces deux environnements aux cultures très différentes, grâce, par exemple, au conseil école-collège qui permet d’articuler la continuité des apprentissages et de la scolarité. Je dirais que notre collaboration avec les chefs d’établissements se cristallise, au niveau de l’enseignement primaire, sur des axes plus pédagogiques, et au niveau de l’enseignement secondaire, sur des enjeux davantage didactiques et disciplinaires. Dans tous les cas, notre mission est bien celle d’un travail collaboratif, et non purement d’évaluation comme le suggère le titre d’inspecteur. 

IIPE : Comment l’inspection évolue-t-elle pour davantage bénéficier aux enseignants ?

Eric Javoy : Au sein de l’inspection, nous pouvons travailler à une meilleure prise en compte de l’expérience des enseignants. Le système français actuel impose, depuis 2017, la tenue de rendez-vous de carrière tous les six ans. Au cours de ces entretiens, l’inspecteur invite l’enseignant à réfléchir à son évolution de carrière, et aux formations qu’il aimerait suivre. Toutefois, aucun document ne conserve trace de ces informations au-delà des comptes-rendus de rendez-vous. C’est pourquoi je travaille aujourd’hui à développer un outil pour conserver au sein du département les retours d’expérience et aspirations des enseignants, qui puissent venir alimenter le plan de formation. De manière générale, les rapports de l’inspection ne sont bien souvent pas ou mal utilisés, et je ne suis pas certain qu’ils présentent une réelle valeur ajoutée pour l’enseignant. Or l’enjeu d’une inspection est justement de bénéficier à l’enseignant. 

Sur ce point, nous pouvons apprendre du système finlandais : c’est en favorisant l’autoévaluation plutôt que l’évaluation, que nous pourrons parvenir à enrichir les pratiques des enseignants. En Finlande, l’autoévaluation est un dispositif qui permet de laisser à l’équipe pédagogique une plus grande autonomie pour la mise en œuvre du projet pédagogique : l’évaluation externe est alors rare et ponctuelle. En France, il y a encore une grande frilosité vis-à-vis de l’autoévaluation, et la figure d’autorité de l’inspection persiste. D’un autre côté, les enseignants ne sont pas toujours prêts à passer d’une relation injonctive à une relation de collaboration où l’inspection leur délègue davantage de responsabilités, au-delà de leur responsabilité pédagogique pour l’application des programmes nationaux.

IIPE : L’inspection est-t-elle en relation avec les parents d’élèves ?

Eric Javoy : Les parents sont les grands oubliés au niveau de l’inspection. Nous avons malheureusement peu de contact avec les parents, en dehors de situations de résolutions de conflits. La relation parent-enseignant est complexe, des maladresses entraînent parfois des frustrations pour les parents qui ne sentent pas écoutés. Or personne ne connaît mieux l’élève que le parent. La position de l’inspecteur et son travail auprès des familles consiste donc à faire de l’information auprès des directeurs d’école et des représentants de parents d’élèves, afin de faciliter leur relation, en ayant conscience que la diversité des parents d’élèves n’est pas toujours bien représentée.

IIPE : Comment revaloriser le statut et la légitimité de l’enseignant, de plus en plus contesté par les familles ? 

Eric Javoy : On observe en effet une remise en question croissante de la parole des enseignants par les familles. Enseigner, c’est un métier de relation : relations entre pairs, relations avec les partenaires éducatifs, relations avec les familles. En France on parle de coéducation, je préfère parler de cohérence éducative : l’éducation se fonde sur des valeurs partagées avec les parents.  Or le pilier relationnel est trop absent de la formation des enseignants. Au Canada, 60% de la formation initiale des enseignants concerne la relation, alors qu’en France, cela représente plutôt 10%. Ne pas former les enseignants à la compétence relationnelle, à l’empathie, au partage, c’est le maintenir dans une posture de confrontation. Il faut travailler à améliorer la formation initiale des enseignants, afin de les former aux techniques de communication. 

IIPE : Comment qualifieriez-vous votre relation avec les élus locaux de la commune ?

Eric Javoy : Je dirais qu’il s’agit d’une réelle collaboration, mais parfois aussi d’un bras de fer. En France, l’école est dite communale, c’est-à-dire que les maires doivent fournir à l’école les moyens de son fonctionnement, ce qui génère de fortes disparités entre les communes. Sur des sujets sensibles, tels que la fermeture d’une classe par l’inspection, la décision est douloureuse pour un maire. L’Inspection travaille pour la restructuration du territoire, et la décision de fermer une classe ou une école est prise afin de valoriser l’organisation du territoire au bénéfice de l’enfant. Des micro-écoles ne sont pas à la faveur de l’élève, cela ne favorise pas l’apprentissage, le développement social de l’enfant, ni la créativité de l’enseignant. Nous passons alors des conventions avec les maires, pour planifier la création d’écoles intercommunales. C’est un sujet délicat : pour certains maires, la qualité du service public de leur commune se mesure à l’aune de la proximité de leur école, et la fermeture d’une école est encore souvent associée à la mort d’un village. 

Au niveau de l’Inspection, il y a une réelle volonté de travailler avec les communes et les représentants sur le territoire. Pour cela, il faut que chacun connaisse les compétences de son partenaire, et que le système soit davantage poreux. Le cloisonnement des domaines empêche bien souvent le partage d’informations, notamment dans le domaine péri-éducatif, alors qu’il faudrait travailler sur le parcours de l’élève de manière collégiale. Je pense par exemple que nous devrions encourager des formations pour les enseignants au sein de leur commune, afin qu’ils se familiarisent avec les services éducatifs communaux, et inversement inviter ces services éducatifs au sein de l’école. 

IIPE : Quels sont les défis de la collaboration entre les acteurs éducatifs ? Quel rôle l’inspection peut-elle avoir dans sa facilitation ?

Eric Javoy : Cela revient à s’interroger sur cette question fondamentale : jusqu’où aller dans la décentralisation ? Jusqu’où former des territoires apprenants ? Je pense que l’enjeu est de parvenir à dessiner des territoires éducatifs qui soient plus petits, où le rôle de chaque acteur (du directeur d’école, de l’inspecteur, du parent) soit plus clairement identifié, et offrant des instances de travail collaboratives.

Un territoire apprenant est un territoire qui permet à l’établissement d’élaborer des projets innovants, et qui favorise le partage et l’essaimage entre établissements du même territoire. C’est un territoire marqué par une dynamique horizontale de partage de projets, de transmissions de compétences. Développer des territoires apprenants demande d’intensifier les échanges entre les acteurs éducatifs, d’apporter davantage d’horizontalité et de porosité, pour favoriser l’épanouissement de l’élève. L’enjeu de notre pilotage est de faire travailler ensemble les acteurs au sein et en-dehors de l’école, pour faire face à des problématiques telles que l’éducation prioritaire, que l’école seule ne peut pas résoudre. 

Sur l’éducation prioritaire, la collaboration entre les établissements et les mairies est vraiment essentielle. Pour l’instant, les projets d’éducation prioritaire sont initiés au sein des écoles, dans le cadre de projets pédagogiques, et les élus sont impliqués ultérieurement pour leur soutien financier.  Nous souhaiterions, pour certains secteurs, que la pédagogie soit partagée, mais la culture de notre système est difficile à faire évoluer, et l’idée persiste au sein des enseignants que la mairie n’a qu’une responsabilité financière dans les projets éducatifs.