PlanED Épisode 2 : L'éducation face aux changements climatiques

 

Les systèmes éducatifs ne sont pas à l'abri du changement climatique. Inondations et élévation du niveau de la mer affectent les lieux de vie. Les températures extrêmes engendrent sécheresses et famines. Tout cela a un impact sur la façon dont les systèmes éducatifs continuent de fonctionner.

C'est pourquoi l'IIPE-UNESCO travaille actuellement avec des pays comme le Liberia, Madagascar et la Jordanie  pour planifier en tenant compte du changement climatique et mettre en place des mesures pour protéger l'éducation et l'apprentissage dans un contexte d'évolution rapide du climat.

Dans cet épisode, Anne Cocard, de l'IIPE-UNESCO, s'entretient avec les experts de l'IIPE Claude Ndabananiye et Mathilde Treguier, qui travaillent sur le changement climatique. Interviennent également des membres des ministères de l'Éducation du Liberia et de Madagascar.

Script complet :

MUSIQUE

Anne Cocard : Les systèmes éducatifs ne sont pas à l'abri du changement climatique. Inondations et élévation du niveau de la mer affectent les lieux de vie. Les températures extrêmes engendrent sécheresses et famines. Tout cela a un impact sur la façon dont les systèmes éducatifs continuent de fonctionner.

MUSIQUE

Anne Cocard : Bienvenue dans Plan-ED… un podcast de l’IIPE, l'Institut international de planification de l'éducation de l'Unesco. Plan-ED vous emmène à l'intérieur des systèmes éducatifs pour découvrir les politiques et les stratégies qui contribuent à créer un avenir plus équitable et plus durable dans et par l'éducation. Je m'appelle Anne Cocard.

La mission de l'IIPE est de renforcer les capacités des ministères de l'Éducation à planifier et à gérer leurs systèmes éducatifs. Le changement climatique est de plus en plus au centre de leurs préoccupations.

Claude Ndabananiye : Cela dépend de la situation géographique des pays, de leurs politiques en matière de changement climatique. Certains pays ont déjà commencé à élaborer des politiques et peut-être luttent-ils pour les mettre en œuvre. Mais beaucoup d'autres pays n'ont, disons, aucune politique en place pour soutenir l'intégration du changement climatique dans l'éducation. L'approche de l'IIPE est une approche globale, qui soutient les ministères de l'éducation. Parfois, nous travaillons aussi avec les ministères des finances, car ce sont eux qui sont censés fournir le financement et la politique et soutenir la mise en œuvre de ces politiques. Notre objectif ultime est donc d'intégrer l'adaptation au changement climatique et l'atténuation de ses effets dans les politiques et les plans.

MUSIQUE

Anne : Claude Ndabananiye est un expert de l'IIPE qui travaille sur le changement climatique.Je me suis entretenue avec lui et sa collègue Mathilde Tréguier pour savoir pourquoi le changement climatique doit être pris en compte dans les processus de planification de l'éducation.

Claude : Les effets du changement climatique peuvent être organisés en deux grands groupes. Les effets directs, et les effets indirects. Ces derniers sont également appelés effets soudains et effets à évolution lente. Ce que nous entendons par effets directs sur l'éducation et l'apprentissage, ce sont les événements liés au changement climatique qui menacent directement la vie des apprenants, des enseignants, du personnel éducatif et des communautés. Et ceux-ci peuvent endommager ou détruire les installations scolaires et perturber la fréquentation scolaire. Les effets indirects sont ceux qui passent par d'autres mécanismes de transmission. Par exemple, à travers les déplacements climatiques, la dégradation des terres, l'élévation du niveau de la mer, les conflits et l'insécurité.

Anne : Quels types de mesures d'adaptation et d'atténuation apparaissent aujourd'hui ? Pouvez-vous nous en dire plus ?

Mathlide Treguier : Les exemples d'adaptation au changement climatique pour les systèmes éducatifs incluent, par exemple, la construction d'infrastructures scolaires qui sont résilientes au climat, ou la relocalisation d'écoles, l'élaboration et la mise en œuvre de plans d'urgence au niveau des écoles, l'identification d'espaces d'apprentissage temporaires et puis, par exemple, l'utilisation de modes d'enseignement alternatifs afin assurer la continuité de l'apprentissage. Quand on fait réference aux mesures d'atténuation pour les planificateurs de l'éducation, on peut mentionner, par exemple, l'intégration du changement climatique dans les programmes scolaires et puis leur application et leur mise en œuvre effective, ou encore la formation continue sur le changement climatique pour les enseignants et le personnel scolaire.

En fait, ce qu'il est important de comprendre, c'est que le changement climatique fait partie intégrante de la réduction des risques de catastrophe, et vice versa. Et donc, alors que les effets du changement climatique sont devenus de plus en plus perceptibles sur les systèmes éducatifs du monde entier, nous avons travaillé à l'IIPE pour appuyer les Ministères de l'éducation à planifier des mesures qui soient pertinentes de réduction des risques de catastrophes pour leur système éducatif, et de faire en sorte que ces mesures incluent des mesures liées à l’adaptation et à l’atténuation du changement climatique. Il est essentiel de bien noter, que si les systèmes éducatifs doivent effectivement être reconnus comme victime du changement climatique, l'éducation elle-même peut jouer un rôle actif et essentiel à la fois dans l'adaptation au changement climatique et dans son atténuation. Et donc l'éducation fait partie intégrante de la solution.

Anne : Pouvez-vous nous en dire plus sur comment cela se manifeste dans des pays dans lesquels vous avez travaillé ?

Claude : Par exemple, le prochain plan sectoriel de l'éducation au Libéria, que l'IIPE soutient depuis deux ans, est très axé sur le changement climatique. Cela implique la mise en œuvre d'un nombre structuré d'activités à différents niveaux, du niveau central jusqu’au niveau local, au niveau des écoles. Par exemple, au niveau central, le nouveau plan sectoriel de l'éducation au Liberia entend mettre en place un cadre politique propice, comprenant le développement d'une stratégie nationale de gestion des catastrophes climatiques, la mise en place de mécanismes de plaidoyer et de mobilisation des ressources. Au niveau intermédiaire et au niveau des écoles, le plan prévoit un nombre d'activités qui incluent le développement et le déploiement de plans d'urgence au niveau des écoles, y compris leur financement, avec un fort accent sur la mise en place de réponses localisées au changement climatique. Car comme nous le savons, même si nous parlons d'un plan sectoriel national, les différentes régions du Liberia ne sont pas confrontées aux mêmes défis.

MUSIQUE

Dominic Kweme: Prenez par exemple Monrovia, où une grande partie de la population vit le long de la côte. Et ces populations vivent dans des ghettos, des camps de fortune, des cabanes.

Anne : Lui, c'est Dominic Kweme, ministre adjoint de la Planification, de la Recherche et du Développement du Liberia. Lui et le ministre adjoint Alton Kesselly ont parlé avec l'ancienne spécialiste des programmes de l'IIPE Anna Seeger, du nouveau cadre politique de l'éducation qui prend en compte le changement climatique.

Dominic : Lorsqu'il y a une forte élévation du niveau de la mer, comme il n’y a pas de système pour empêcher la mer d’atteindre le ghetto, cette population qui vit le long de cette zone cotière est touchée. Avec pour conséquence le déplacement de familles, y compris des enfants scolarisés. Donc s'il y a des écoles dans cette zone, ces élèves manqueront la classe pendant plusieurs jours. En fait, une grande partie de Monrovia est construite dans des zones marécageuses. On manque de - enfin pas le manque mais l'application limitée - de règles et de lois pour empêcher la construction dans les cours d'eau et les marécages, pour empêcher de bâtir dans les zones de mangrove qui servent de drainages naturels pour que les cours d'eau se jettent facilement dans l'océan ou la mer. Ainsi, chaque fois qu'il pleut à Monrovia il y a une énorme inondation. Donc ça déplace beaucoup d’élèves et de familles. Cela empêche les enfants d'aller à l'école.

Dans les zones rurales, lorsque la tempête arrive, comme les écoles sont des constructions de fortune, elle emporte le toit de l'école. Alors l’état n'est parfois pas en mesure d'intervenir immédiatement. Les enfants n'ont donc pas accès à l'école pendant cette période. Dans la partie rurale du Liberia, où se trouve la forêt tropicale, il pleut continuellement.Et les routes ne sont pas pavées. Cela affecte donc la question du commerce entre Monrovia et cette partie du pays. Donc cela augmente les prix des biens et des services ce qui a un effet négatif sur les élèves et sur les parents qui n'envoient pas leurs enfants à l'école.

Anna Seeger : Donc à présent, pour la première fois, vous avez intégré des dispositifs, ou des programmes et des stratégies pour faire face au changement climatique, par le biais de mesures d'adaptation et d'atténuation du changement climatique, dans le nouveau Plan Sectoriel de l’Éducation. Quels sont les éléments clés qui vous donnent le plus d'espoir pour accroître la résilience de votre système éducatif ? Lesquels sont les plus importants ?

Alton Kesselly : Oui, donc dans notre plan, nous disons “Faisons de l'urgence éducative une structure permanente de notre système éducatif”, ce qui n'a pas été le cas avant. Donc, cette urgence éducative inclut le changement climatique. S'il y a une situation qui conduit à une inondation, à une tempête, nous pouvons réagir rapidement pour nous assurer que ces enfants ont une forme d'éducation. Nous pouvons peut-être reconstruire l'école, mais les élèves ne doivent pas rester trop longtemps à la maison. En ce qui concerne les tempêtes - quand nous nous lançons dans toutes nouvelles interventions, nous considérons qu'il peut y avoir une tempête, qu’il peut y avoir une inondation. Donc si vous construisez une école, assurez-vous que l'école peut résister aux inondations le mieux possible. Essayez de ne pas construire d'école dans les marécages. Troisièmement, il faut prendre en compte le changement climatique et intégrer les citoyens dans la réflexion et ne pas oublier le coût du changement climatique. Donc nous pouvons jouer notre rôle pour l’atténuer. Et cela peut commencer à l'école, ce qui signifie que nous pouvons faire en sorte que le changement climatique fasse partie du programme scolaire.

Anna : Quels sont les principaux défis que vous pensez devoir relever - ou que le ministère de l'éducation va devoir relever pour faire face aux effets du changement climatique ?

Dominic : Oui, pour moi, je pense que le principal défi est le niveau élevé d'analphabétisme et la question du travail sur les comportements. Beaucoup de Libériens trouvent que ce que, par exemple, le gouvernement conseille n'est pas pris au sérieux. Donc l'application de nos règles et de nos lois est l'un des principaux défis. Tant que nous pouvons essayer autant que possible - d'assurer l'application de certaines de ces règles et règlements, cela nous aidera à aborder la question du changement climatique progressivement. Tant que nous ne commencerons pas à changer notre état d'esprit dans le pays, et à changer notre comportement, nous continuerons à affronter ce type de conséquences qui se produit dans le pays.

Je pense qu'avec le plan du secteur de l'éducation, et avec une approche ou une intervention différente, pour commencer la question de l'enseignement du changement climatique depuis le niveau élémentaire, jusqu'au niveau universitaire, nous devrons être en mesure de faire changer d'état d'esprit de nombreuses personnes. Et tant que de nombreuses personnes parlent de l'impact du changement climatique, cela aide à être en mesure d'aborder la situation.

MUSIQUE

Mathilde : Un autre exemple intéressant est Madagascar. Madagascar fait partie des pays qui sont les plus touchés par les catastrophes naturelles. Et ces dernières sont aggravées par les effets du changement climatique. On peut noter par exemple l'intensification des cyclones tropicaux, l'élévation du niveau de la mer, etc. Et le secteur de l'éducation n'est pas épargné. Par exemple, on observe des fermetures prolongées d'écoles, la destruction de salles de classe ou d'équipements scolaires, des déplacements forcés d'élèves et d'enseignants, etc. Les clubs de réduction des risques de catastrophe au niveau des écoles comprennent désormais un volet sur l'adaptation au changement climatique et l'atténuation de ses effets, afin de s'assurer qu'ils impliquent les élèves eux-mêmes dans une réflexion sur la façon dont ils peuvent vivre avec le changement climatique et puis comment ils peuvent faire face aux effets du changement climatique au niveau de l'école.

Anne : Mathilde s'est entretenue avec la responsable de la gestion des risques et des catastrophes pour le Ministère de l'Éducation nationale, Lila Randrianandrasana, qui affirme que le changement climatique exacerbe les phénomènes existants à Madagascar, notamment la sécheresse dans le sud du pays - qui provoque l'abandon scolaire des élèves. Pour elle, il est essentiel que les élèves participent à la création d'un avenir dans lequel le changement climatique et ses effets font partie intégrante de la vie.

Lila Randrianandrasana : J'ai toujours pensé que les élèves devraient être informés comment se protéger des cyclones, comment se protéger de l'inondation, comment vivre avec la sécheresse. Et dans cette perspective, il y a eu un temps ou au niveau du Ministre de l'Éducation nationale, nous avons organisé un concours sur lequel les élèves devaient créer, et donc penser à comment vivre avec le changement climatique, comment s'adapter au changement climatique, et le thème était de comment recycler les déchets. Et lors de ce concours la, il y a eu des élèves du collège qui ont fabriqué des panneaux solaires. A partir de l'organisation de ce concours-la, j'ai pris conscience que les élèves avaient vraiment cette créativité, ils avaient des moyens de vraiment créer des choses nouvelles pour s'adapter au changement climatique. C'est sur cette perspective-là que nous avons pensé mettre en place des clubs de réduction des risques de catastrophe, vraiment donner des opportunités aux élèves de créer, de s'adapter, d'imaginer leur propre activité, pour atténuer l'effet du changement climatique, pour proposer des solutions.Et donc, c'est vraiment que lorsque ses clubs seront mis en place au niveau de tous les établissements scolaires de Madagascar, enfin les élèves auront les moyens et opportunité d'agir, de réagir- de faire face, non seulement en tant que que- cible, mais vraiment en tant qu'acteurs qui réagissent et qui font des actions contre le changement climatique, contre la sécheresse- contre tous les aléas dont ils ont- devront avoir le moyen de vivre avec, ou bien de se protéger de- ou bien d'en faire des opportunités.

MUSIQUE

Anne : Quels sont les défis les plus pressants que vous rencontrez dans ce travail ?

Claude : A l'IIPE, nous sommes surtout des spécialistes de l'éducation, il n'était donc pas évident de travailler avec des modèles de simulation liés au changement climatique, car ils étaient accompagnés de types de données différents et nouveaux, que nous ne connaissions pas. Nous avons donc dû apprendre à jouer avec ces projections liées au changement climatique. Et cela a été et reste un défi, mais un défi que nous reconnaissons, et nous essayons de travailler avec des experts dans ces domaines, pour mieux comprendre comment utiliser ces projections climatiques.

Mathilde: Un autre défi que nous avons rencontré est d'obtenir l'adhésion des décideurs politiques au niveau national, et des donateurs, pour s'assurer qu'ils placent l'action climatique dans et par l'éducation en haut de l'agenda national et international, et que des ressources financières suffisantes puissent être obtenues.

Claude : Un autre défi est que le changement climatique est un sujet assez complexe, qui va au-delà du mandat du seul Ministère de l'Éducation. Nous parlons donc du ministère de l'agriculture et de la gestion des terres par exemple, de la gestion de l'eau, de la sécurité alimentaire. Travailler sur le changement climatique dans l'éducation nécessite donc une approche intersectorielle et un mécanisme de coordination solide. C'est une chose que nous soutenons, mais qui, dans la pratique, n'est pas facile à mettre en œuvre au niveau national.

Anne : Le changement climatique affecte les gens dans le monde entier. Cependant, ce sont les populations les plus vulnérables et les plus fragiles de la planète qui vont être les plus touchées par le changement climatique. Comment gérer cette disparité ?

Claude : Nous savons, bien sûr, que le changement climatique est un phénomène mondial, mais nous savons aussi que les pays pauvres et fragiles seront affectés de manière disproportionnée, ce qui signifie qu'ils ont des capacités plus faibles pour faire face aux effets du changement climatique. Et dans le cadre de notre soutien aux pays, il s'agit vraiment de s'assurer que vous avez des politiques et des plans, du niveau central jusqu'au niveau de l'école, qui vont cibler les plus vulnérables - et de s'assurer que - par exemple, dans le cadre de l'évaluation des risques et de l'analyse de la situation, vous identifiez les populations, ou les sous-populations dans certains cas, qui sont plus exposées au risque climatique afin de concevoir des politiques qui vont cibler ceux qui en ont le plus besoin. Et ensuite mettre en place les bonnes mesures d'accompagnement.

MUSIQUE

Anne : C'était Claude Ndabananiye, expert de l'IIPE travaillant sur le changement climatique. Je m'entretenais avec Claude et sa collègue Mathilde Tréguier.

C'était Plan-Ed - un podcast de l'IIPE-UNESCO.

Produit par Alexandra Waldhorn et Sarah Elzas, qui ont monté et mixé l'épisode.

Musique de Robert Meunier

Vous pouvez trouver plus d'informations sur le changement climatique et la planification relative aux crises éducatives sur notre site internet : www.iiep.unesco.org

La prochaine fois nous nous pencherons sur les politiques et les stratégies qui contribuent à créer un avenir plus équitable et plus durable, dans et par l'éducation.

MUSIQUE