PlanED Épisode 3 : Le rôle de la planification de l’éducation dans l’épanouissement des apprenants réfugiés

 

La planification de l'éducation joue un rôle crucial dans la réduction des disparités d'accès à une éducation de qualité pour les élèves réfugiés. Dans cet épisode, nous avons le plaisir d'accueillir des expertes pour discuter de l'importance de la planification d'une éducation inclusive et équitable pour les enfants et les jeunes déplacés à travers le monde. Anne Cocard, de l'IIPE-UNESCO, nous guide à travers les enjeux clés de la planification éducative.

Becky Telford, responsable de l'éducation pour l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés, explique comment les possibilités d'éducation diminuent à mesure que les enfants déplacés grandissent et pourquoi une distribution équitable des ressources est essentielle. Thalia Seguin, spécialiste du programme de l'IIPE, nous aide à comprendre les différentes dimensions de l'inclusion, y compris le rôle des données. Enfin, Damarice Otieno, du Département des services aux réfugiés du Kenya, nous fait part de son expérience sur les défis à relever et les solutions à adopter pour surmonter les obstacles.

Script complet :

Becky Telford : L’année 2022 a été marqué par un très grand nombre de personnes contraintes de se déplacer. En tout, plus de 100 millions de personnes soit plus de 1% de la population mondiale.

Anne Cocard : Becky Telford est la responsable de l’éducation du HCR, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés. Les réfugiés et les autres personnes déplacées de force sont contraints de fuir leur foyer en raison de conflits, de violences, de catastrophes, notamment celles causées par le dérèglement climatique, mais aussi d’autres problèmes majeurs, ou bien par peur de la persécution. 

Becky Telford : Il y a beaucoup d'enfants au sein des populations déplacées à travers le monde notamment parmi les réfugiés, c’est-à-dire les personnes déplacées à l’extérieur de leur pays. 48 % d’entre eux, soit près de la moitié, ne vont pas à l’école. Le taux de scolarisation des réfugiés est très faible. Dans les faits, au niveau du secondaire, seulement 37 % des réfugiés sont scolarisés.

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Anne Cocard : Bienvenu dans Plan-ED, le podcast de l’Institut international de planification de l’éducation de l’UNESCO. Nous allons explorer ensemble les systèmes éducatifs pour en apprendre davantage sur les politiques et les stratégies qui contribuent à la construction d’un avenir plus équitable et plus durable, dans l’éducation et par l’éducation. Je suis Anne Cocard.

L’IIPE a pour mission de renforcer les capacités des ministères de l’Éducation à planifier et à gérer leurs systèmes. Répondre aux besoins éducatifs des enfants réfugiés est également indispensable dans un monde où des populations sont de plus en plus forcées de se déplacer. L’objectif est d’inclure tous les élèves réfugiés dans le système éducatif national, en leur offrant les mêmes opportunités qu’aux élèves du pays d’accueil. Mais cela peut s’avérer difficile pour des pays qui luttent déjà beaucoup pour offrir une éducation de qualité à leur propre population.

Becky Telford : Beaucoup de pays sont déjà confrontés à des défis dans le domaine de l’éducation. Et parce qu’environ 85 % des réfugiés sont accueillis dans des pays à faible ou moyen revenu, exercer une pression sur des systèmes qui sont déjà en difficulté peut être extrêmement problématique. Bien souvent, il n'y a tout simplement pas suffisamment d'enseignants et de salles de classe.

Anne Cocard : Le manque d’enseignants et les classes surchargées ne sont que quelques-uns des défis que doivent relever les pays qui tentent d’intégrer les élèves réfugiés dans leurs systèmes éducatifs. L’IIPE soutient les ministères de l’Éducation dans le renforcement de leurs capacités de planification et de gestion de l’intégration des réfugiés. Il s’appuie sur les trois piliers suivants : la formation, la coopération technique et la recherche. Je me suis entretenue avec Thalia Seguin, spécialiste associée de programme à l'IIPE, qui m'a expliqué comment cela fonctionne.

Thalia Seguin : Planifier l'inclusion s’articule autour d’enjeux relatifs à l'accès, à la qualité et à la gestion des systèmes éducatifs nationaux. Pour garantir l'accès à l'éducation et un engagement politique durable, il faut mettre en place et planifier rigoureusement des cadres juridiques et institutionnels. Les questions relatives à la langue d'instruction et aux programmes scolaires sont essentielles pour assurer une éducation de qualité aux populations déplacées. Le corps enseignant doit également faire l'objet d'une planification minutieuse, afin de veiller à ce que les professeurs soient recrutés et déployés efficacement, et qu'ils puissent dispenser leurs cours dans des environnements d'enseignement et d'apprentissage sûrs et sécurisés, propres à garantir la motivation et le bien-être. Ils doivent également avoir accès à des opportunités de développement professionnel. Enfin, pour comprendre les besoins et les défis auxquels sont confrontés les communautés d'accueil et de réfugiés, tant du côté des apprenants que des enseignants, il faut avoir accès aux données et aux informations pertinentes au bon moment. Et bien entendu, il faut veiller à ce que les financements soient suffisants pour répondre à ces besoins. C’est là aussi une problématique de gestion essentielle qui doit mobiliser la réflexion des responsables de la planification.

Anne Cocard : Quels éléments les ministères doivent-ils prendre en compte lors de la planification d’une plus grande inclusion des réfugiés dans leurs systèmes éducatifs nationaux ?

Thalia Seguin : Excellente question. Dans de nombreux contextes, cela implique de passer d’un système éducatif parallèle spécialement pour les réfugiés, organisé par le HCR et ses partenaires, à un système inclusif, organisé par l’Etat. Par conséquent, l'inclusion nécessite le renforcement des systèmes éducatifs nationaux existants pour mieux soutenir les apprenants réfugiés et cela bénéficie à la fois aux réfugiés et aux communautés d'accueil.

Anne Cocard : Le HCR estime que les ministères de l'Éducation doivent montrer l’exemple et inclure les élèves réfugiés et déplacés dans leurs systèmes nationaux. Becky Telford, responsable de l'éducation du HCR, continue.

Becky Telford : Le programme d'inclusion met l'accent sur la cohésion sociale qui consiste à intégrer les réfugiés dans les communautés, et à s'assurer que le soutien aux réfugiés bénéficie également aux communautés d'accueil. Rassembler les enfants de cette façon permet également de renforcer la cohésion sociale dans une perspective communautaire, de sorte que les gens soient en mesure de comprendre qui sont les réfugiés et que ces réfugiés se sentent les bienvenus. Mais ce qui est essentiel, c'est la liaison avec les parcours de validation des acquis et de certification. Il ne s'agit donc pas seulement d'avoir accès, vous savez, à l’apprentissage. Il s'agit aussi d’être en mesure de construire une voie vers un avenir différent.

Anne Cocard : Pouvez-vous nous expliquer pourquoi il est si important de planifier l'intégration des réfugiés dans les systèmes éducatifs ?

Becky Telford : La planification est vraiment primordiale car inclure les réfugiés implique de s’assurer que ces systèmes sont prêts et solides, qu'ils ont le potentiel de fonctionner en cas d'urgence ou d'afflux de personnes. Quand on regarde en quoi cela contribue à la résilience de l'ensemble du système et à la capacité à soutenir les enseignants, les enfants et les jeunes, on se rend compte que cette cohésion sociale est vraiment cruciale. Il est aussi question de faisabilité et même si nous sommes, vous le savez, très favorables à l'inclusion dans les systèmes nationaux, nous sommes également conscients que lorsque des systèmes sont déjà en difficulté, il est vraiment difficile de trouver des arguments et d’avoir des exigences claires au sujet des ressources humaines et financières supplémentaires. Et cela fait partie, pour ainsi dire, de la relation entre les partenaires humanitaires et ceux du développement, et de la relation entre, par exemple, les ministères du pays d'accueil et la communauté internationale. Il faut donc veiller à une répartition équitable des ressources, s'assurer que les communautés d'accueil ne soient pas mises en difficulté par un afflux de réfugiés et qu’au contraire nous construisons quelque chose qui améliore véritablement l'accès à l'éducation pour tous.

Anne Cocard : Cela dit la planification repose aussi sur des données permettant de localiser et d’identifier les apprenants, d’évaluer leurs besoins. J'ai demandé à Thalia Seguin de l'IIPE quels étaient les besoins et les défis en matière de données.

Thalia Seguin : Supposons que nous soyons des responsables de la planification d’un pays d'accueil qui reçoit un grand nombre de réfugiés. En tant que planificatrice, l’une des premières choses que je ferais serait de mieux comprendre les besoins et les défis auxquels sont confrontées les communautés d'accueil et de réfugiés en me basant sur des faits. En même temps, le manque d’informations précises et actualisées, tout comme les motivations qui sous-tendent la collecte de données, peuvent fausser les résultats. Par exemple, gonfler les chiffres peut conduire à une augmentation des fonds alloués. Pour être pertinentes, les données doivent également être disponibles dans un délai raisonnable, étant donné la mobilité des populations déplacées. La collecte de données relatives aux populations déplacées de force peut aussi poser un problème de protection.

Anne Cocard : Et cela soulève donc également des questions sur comment sont utilisées les données.

Thalia Seguin : Oui, une fois les informations collectées, la manière dont elles sont analysées et utilisées varie. Lorsque de multiples acteurs de l’éducation sont impliqués, cela conduit souvent à un morcellement des données entre les systèmes. Et bien trop souvent, les indicateurs sont quantitatifs, et ne reflètent pas nécessairement la qualité des interventions, ce qui veut dire que les résultats d'apprentissage sont mal suivis. Ces défis mettent en évidence la nécessité de renforcer les systèmes d'information existants sur la gestion de l'éducation à l’aide d’outils faciles et rapides à déployer et qui incluent des données désagrégées sur les populations réfugiées, alignées sur les données collectées pour les populations nationales. 

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Anne Cocard : Le Kenya accueille plus d'un demi-million de réfugiés et de demandeurs d'asile, dont la majorité vient de Somalie. Plus de la moitié d'entre eux a moins de 17 ans. Le pays a pris des mesures ambitieuses pour offrir les mêmes services éducatifs dans les camps de réfugiés que dans le système public. Damarice Otieno, responsable de la documentation du département des services aux réfugiés du Kenya, a expliqué à Thalia que ce travail est en cours. Par exemple, le pays s’efforce d’inclure les réfugiés dans le système de numéros d'identification de l’éducation nationale. Ainsi, les réfugiés peuvent suivre le programme d'enseignement du pays et passer les examens nationaux. Cela dit, le problème majeur est le manque d'enseignants.

Damarice Otieno : Les élèves sont très nombreux dans les écoles des camps de réfugiés, et le ratio enseignant/élèves est très déséquilibré. Une classe de 100 élèves est encadrée par un seul enseignant, et la plupart de ces enseignants ne sont pas qualifiés. Alors, les enfants reçoivent certes une éducation, mais vous comprenez, on peut s'interroger sur la qualité ou la pertinence de cette éducation. Les conséquences sur l’apprentissage sont considérables en l'absence d'une politique et de directives claires sur le recrutement des enseignants pour les écoles de réfugiés. Il y aussi un problème avec les documents exigés des apprenants réfugiés. Nous disposons d’un système en ligne pour tous les écoliers du Kenya. Un enfant qui entre à l'école en première année ou qui va passer des examens nationaux doit être muni d’un certificat de naissance. Et la plupart des enfants réfugiés qui ne sont pas nés au Kenya n'en ont pas. Sans compter le problème des classes surchargées. Ce sont là les principaux défis auxquels nous faisons face en tant que responsables. Et ce sont des problèmes politiques qui, en fait pourraient, s’ils sont traités, appartenir au passé. Et l'initiative prise par le ministère d’élaborer une politique nationale sur l'inclusion des réfugiés, pourrait apporter des réponses à une partie des problèmes rencontrés par les apprenants réfugiés. 

Anne Cocard : Damarice nous a également parlé de stratégies innovantes qui visent à assurer l’épanouissement de tous les apprenants.

Damarice Otieno : Certains des moyens novateurs que nous utilisons pour veiller à ce que les apprenants déplacés s’épanouissent quoi qu'il arrive, consistent à s'assurer qu'une grande partie des enfants en âge d'être scolarisés vont à l'école. Ainsi, même si nous parlons des difficultés des enseignants et des apprenants, nous encourageons tous les enfants à aller à l'école y compris dans les camps. Les enfants réfugiés ne reçoivent peut-être pas l'éducation de qualité que nous avions envisagée pour eux, mais l'environnement scolaire offre quand même un havre de paix pour beaucoup d’entre eux. J’ai parlé tout à l’heure des certificats de naissance. Nous nous sommes entendus avec le ministre de l'Éducation pour que ce document d'identité remis aux demandeurs d'asile et aux réfugiés à leur arrivée puisse être utilisé pour les enregistrer, pour leur permettre de s’inscrire à l'école et de se présenter aux examens nationaux. Mais cela aide-t-il à gérer le grand nombre d’élèves ? Nous avons tellement d'élèves qui arrivent chaque jour, on ne suit pas le rythme, mais nous faisons tout notre possible pour que tous les nouveaux arrivants ou les nouveaux apprenants puissent s’inscrire à l'école, même quand les conditions requises ne sont pas toutes réunies.

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Anne Cocard : L'IIPE a mené une étude sur les personnels enseignants dans les camps de réfugiés au Kenya afin de formuler des recommandations pour une gestion plus efficace des enseignants. L’Institut a également permis de définir les coûts liés à l'élaboration d'un plan d'action pour l'intégration des réfugiés dans le système éducatif national. Thalia nous a parlé des trois piliers de l'IIPE que sont la formation, la coopération technique et la recherche, pour assister les gouvernements qui veulent faire progresser l'inclusion des réfugiés dans l'éducation :

Thalia Seguin : La coopération technique que nous apportons aux ministères de l'Éducation comprend des plans d'action chiffrés pour l'inclusion des réfugiés dans les systèmes nationaux. Dans le domaine de la formation, nous avons par exemple mis au point un cours pour les représentants du HCR et des ministères, afin de leur permettre de développer leurs compétences et leurs capacités à planifier l'inclusion. L’IIPE attache aussi une grande importance au soutien des enseignants dans les camps de réfugiés. Nous avons fait des recherches avec Education Development Trust sur la gestion des enseignants en Éthiopie, en Jordanie, au Kenya et en Ouganda. Cette recherche comprend des recommandations pour orienter la prise de décisions et promouvoir de meilleurs environnements d'enseignement et d'apprentissage pour tous. 

Anne Cocard : Quel est l'impact du travail de l'IIPE jusqu'à présent ?

Thalia Seguin : L'IIPE a travaillé dans différents contextes pour soutenir les ministères dans leur démarche d'inclusion des réfugiés. Cela passe par un ajustement des processus de planification. Les gouvernements et leurs partenaires doivent être en mesure de connaître le nombre d’enfants réfugiés et demandeurs d'asile dans leur pays, ainsi que leurs besoins en matière d'éducation. La planification en collaboration avec les ministères de l'Éducation et les organisations pour les réfugiés peut contribuer à une répartition des ressources plus équitable. C’est de plus un moyen de favoriser la cohésion sociale. Cela peut sensibiliser aux défis auxquels sont confrontées les deux populations et peut conduire à une résolution collective des problèmes et à la création de solutions innovantes.

Anne Cocard : Vous avez également parlé de plans d'action chiffrés. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce que cela implique ?

Thalia Seguin : Absolument. Il s'agit d'un processus de développement des capacités qui repose encore une fois sur la collaboration avec les gouvernements nationaux et les organisations pour les réfugiés, y compris les organisations de la société civile, dans le but d'établir des priorités communes en matière de stratégies, de programmes et d'activités afin d’améliorer les services éducatifs offerts à tous les apprenants. Déterminer le coût financier de l'intégration des réfugiés dans un système éducatif national. Et anticiper ce coût en mettant en place les moyens nécessaires. A ce jour, l'IIPE a soutenu l’élaboration d'un plan chiffré au Kenya. Et maintenant, nous travaillons avec la Mauritanie pour développer un plan chiffré aligné avec le futur plan sectoriel de l'éducation du pays.

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Anne Cocard : Merci à Thalia Seguin, spécialiste associée des programmes de l'IIPE.

C’était Plan-ED, un podcast de l'IIPE-UNESCO.

Réalisé par Alexandra Waldhorn, monté et mixé par Sarah Elzas.

Musique de Robert Meunier

Pour plus d'informations sur les droits à l'éducation des personnes déplacées, visitez notre site web : www.iiep.unesco.org

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