Pour un leadership efficace des ministères de l'Éducation en temps de crise

02 Juin 2020

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Un petit garçon et son enseignante dans une école à Irbid, Jordanie

Un leadership gouvernemental de qualité est primordial en période de crise. Il facilite un passage à l'action efficace, une communication ouverte et cohérente, et surtout, fait passer l'intérêt public avant tout. La pandémie de COVID-19 n’a pas échappé à la règle, alors que les fermetures d'écoles ont touché plus de 1,5 milliard d'élèves à travers le monde en seulement quelques jours.

Comme pour toute crise, qu'il s'agisse de conflits, de catastrophes naturelles ou du changement climatique, les urgences sanitaires mettent en péril la sécurité et le bien-être des élèves et de leurs enseignants, mais également l'apprentissage avec des conséquences disproportionnées pour les populations marginalisées (par exemple, les familles déplacées, les filles et les femmes, les apprenants ayant des besoins particuliers). 

Pour protéger l'éducation pour tous, les ministères de l'Éducation doivent assumer un rôle de pilotage fort. Mais qu'est-ce qui fait - ou empêche - un leadership efficace en temps de crise ? Comment ceux qui sont à la tête d'un système éducatif peuvent-ils en galvaniser le personnel et les communautés, et établir des liens solides avec les autres acteurs concernés, comme les autorités sanitaires et les partenaires humanitaires ?

1. Mobiliser la volonté politique au plus haut niveau du gouvernement 

 

Lorsque le gouvernement, à son plus haut niveau, s'engage à assurer l'éducation - quelles que soient les circonstances - le ministère de l'Éducation peut mobiliser des ressources, mettre en œuvre et superviser les politiques, et adapter les réponses en fonction de l'évolution de la situation d'urgence. En outre, une communication transparente sur les avantages et les défis potentiels des politiques choisies peut garantir non seulement l'unité des programmes, mais aussi le soutien du public.

"En Jordanie, une forte volonté politique a créé un climat dans lequel le ministère de l'Éducation peut diriger, relever les défis et créer des plans qui placent l'éducation de tous au premier plan", affirme Anna Seeger, spécialiste de programme à l'IIPE-UNESCO. "Sa Majesté le roi Abdallah II de Jordanie a également contribué à établir ce cadre en maintenant un intérêt marqué et constructif pour la réforme de l'éducation."

2. Élaborer des politiques et des plans de préparation et de réponse aux crises

 

Il est difficile de prévoir l'ampleur d'une crise. Mais les ministères de l'Éducation peuvent apporter des réponses fortes lorsqu'ils sont préparés. En Jordanie, l'afflux rapide de réfugiés syriens a poussé les autorités éducatives à trouver de nouvelles solutions d'apprentissage tout en évitant de saturer le système scolaire. Cette expérience a montré au ministère de l'Éducation qu'il doit dès le départ s'attaquer aux inégalités en matière d'éducation et se coordonner avec d'autres acteurs, comme le Centre national pour la sécurité et la gestion des crises.

"Le ministère a appliqué ces leçons à la planification à plus long terme, comme le soulignent son actuel plan stratégique de l'éducation et son plan de gestion des crises et des risques, afin de protéger le système éducatif contre les chocs futurs", explique Mme Seeger. "Cet investissement préalable porte vraiment ses fruits pendant la pandémie actuelle : une série de solutions d'apprentissage est déployée, ainsi que des programmes de rattrapage et des campagnes pour la reprise de l'école". 

Au Burkina Faso, les plans éducatifs développés par le passé ont permis de renseigner la réponse à la COVID-19 : des programmes éducatifs radiophoniques, initiés pour faire face aux conséquences de l'insécurité, ont ainsi été améliorés pour les étudiants affectés par cette nouvelle crise un peu partout dans le pays.

 

3. Travailler en étroite collaboration avec les acteurs gouvernementaux à tous les niveaux

 

Les ministères de l'Éducation doivent pouvoir définir une action rapide et décisive en coordination avec les bureaux d'éducation locaux et régionaux, les écoles et les communautés. Les systèmes éducatifs qui impliquent des décideurs et des acteurs à l’échelon décentralisé - qui sont plus conscients des risques et des capacités locales - sont mieux placés pour assurer la continuité de l'éducation.

Par exemple, en Jordanie, le ministère de l'Éducation à Amman travaille avec les directions régionales de l'éducation qui se préparent à rouvrir les écoles. Elles se penchent plus particulièrement sur les besoins des apprenants vulnérables, notamment les réfugiés, qui n'ont pas forcément accès aux outils d'apprentissage en ligne que le ministère a mis en place au début de la pandémie.

4. Développer un système d'information solide et résilient

 

Les données de qualité sur l'éducation sont cruciales, mais difficiles à recueillir, en temps de crise. "Des données détaillées et granulaires peuvent montrer qui est touché par une crise et où, ce qui permet d'orienter une réponse efficace et de mobiliser des fonds. Elles permettent une réponse efficace et adaptée, en identifiant les personnes les plus à risque", explique Jean Claude Ndabananiye, analyste des politiques éducatives à l'IIPE-UNESCO. Au Burkina Faso, le système d'information du ministère de l'Éducation a évolué au fil du temps pour devenir résilient face aux crises. Lorsque l'insécurité s'est aggravée pour la première fois en 2015, les demandes de données ont augmenté de façon exponentielle - notamment sur le nombre croissant d'enfants déplacés à cause de la violence. Avec le soutien de l'IIPE-UNESCO, le ministère et ses partenaires ont pu se mobiliser rapidement et adapter leur approche afin de pouvoir collecter des données sur une base bi-hebdomadaire. 

"Ces données ont été cruciales pour créer un plan d'intervention plus solide afin de répondre aux besoins éducatifs des apprenants déplacés", selon Jean-Claude Ndabananiye. "Cette capacité à collecter des données détaillées s'avère maintenant très utile pour répondre à la COVID-19".  

5. Renforcer les ressources humaines et les structures organisationnelles pour la gestion des crises

 

Les ministères de l'Éducation sont plus à même de jouer un rôle moteur en temps de crise lorsqu'ils ont déjà investi dans des ressources humaines et des structures organisationnelles telles qu'une unité de gestion des risques et des crises, à différents niveaux de gouvernance. Au Burkina Faso, le Secrétariat technique pour l'éducation en situation d'urgence a d'abord été créé pour répondre aux besoins éducatifs des apprenants déplacés. Aujourd'hui, il dirige la réponse du pays pour l'éducation de base et non formelle face à la COVID-19.

Au Kenya, les défis actuels liés à la pandémie ont conduit à la décision de constituer une unité d'éducation en situation d'urgence au sein du ministère. La mise en place de comités d'éducation en situation d'urgence au niveau des comtés sera également poursuivie, afin d'institutionnaliser une gestion efficace des crises dans tout le pays.

6. Aligner les réponses humanitaires et les plans de développement 

 

Pendant les crises, les réponses humanitaires rapides doivent s'aligner sur les plans de développement à plus long terme. Dans le même temps, les objectifs à long terme doivent également tenir compte des réalités changeantes de l'après-crise. En renforçant le lien entre l'humanitaire et le développement, les ministères de l'Éducation et leurs partenaires peuvent assurer une cohérence ainsi qu'une utilisation efficace des ressources disponibles. Dans le secteur de l'éducation, cela nécessite que les ministères ajustent leurs plans, leurs priorités et leurs objectifs.

En Jordanie, le ministère de l'Éducation prévoit de réviser les objectifs de son plan sectoriel d'éducation afin de refléter le monde de l'après-COVID-19. Au Kenya, le ministère étudiera l'impact des fermetures d'écoles sur ses objectifs nationaux en matière d'éducation, et le Burkina Faso révise sa stratégie d'éducation en situation d'urgence afin d'intégrer les risques liés aux pandémies.

Renforcer la résilience sur la voie de la reprise 

 

Le leadership des ministères de l’Éducation dans les pays qui ont connu une série de crises illustre pourquoi les réponses doivent être multidimensionnelles. Elles doivent prévoir des efforts à court terme visant à répondre aux besoins des plus vulnérables, mais aussi des stratégies tournées vers l'avenir et ancrées dans les réalités nationales et locales. Un leadership fort ne peut prospérer que lorsque les mondes de l'humanitaire et du développement se rejoignent pour contribuer à des solutions fondées sur la durabilité et la résilience.

C'est également le cas pour la crise actuelle de la COVID-19 qui se répercute dans toute la société et pourrait à jamais remodeler l'éducation. Le leadership des ministères de l'Éducation ne doit pas être sous-estimé, alors que les pays cherchent de nouvelles façons de garantir que tous les enfants et les jeunes puissent apprendre dans des conditions sûres. 

Comment les systèmes éducatifs peuvent-ils se préparer aux crises ?

 

  • En mettant en place des politiques et des plans de gestion des risques et des crises, ainsi que des plans d'urgence au niveau des écoles, 
  • En institutionnalisant les structures de coordination et de communication qui permettent une prise de décision rapide face aux situations d'urgence, sur la base de protocoles établis
  • En informant et formant les étudiants, les enseignants, les communautés scolaires et les responsables de l'éducation sur la réduction des risques de catastrophes.