Réforme du baccalauréat français : l’aube d’une ère nouvelle ?

25 Juin 2019

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IIEP-UNESCO
Pierre Mathiot, Director, Sciences Po Lille, speaking at the IIEP Strategic Debate.

Par Pierre Mathiot, Directeur,Sciences Po Lille, Michaela Martin et Ana Godonoga, IIPE-UNESCO

 

En France, le mois de mai est généralement une période agréable pour la plupart des habitants. Sauf pour Guillaume et ses pairs qui sont en terminale et se préparent avec assiduité aux épreuves du baccalauréat. Guillaume doit passer 12 épreuves, concentrées sur quelques jours du mois de juin. Il s’interroge souvent sur l’intérêt de ces épreuves, puisque la réponse à ses demandes d’admission dans l’enseignement supérieur dépendra de l’obtention de son baccalauréat et non de ses résultats aux différentes épreuves. Marie, l’un des professeurs de Guillaume, est également sous pression. Elle rejoindra bientôt les 170 000 enseignants de France chargés de noter quelque 700 000 candidats bacheliers comme Guillaume. Chaque année, l’organisation du baccalauréat représente, pour les élèves comme pour les enseignants, une tâche titanesque.

Ce qui précède reflète la réalité de ce qu’était, jusqu’à présent, le diplôme emblématique du système éducatif français. En 2018, le ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse a chargé Pierre Mathiot, professeur de science politique et directeur de Sciences Po Lille, de préparer une nouvelle réforme visant non seulement à repenser totalement le baccalauréat, mais aussi à transformer l’enseignement et l’apprentissage dans l’enseignement secondaire second cycle. La première édition du baccalauréat nouvelle formule est programmée pour 2021.

Quels sont les principaux enjeux de la réforme?

La réforme vise à simplifier l’organisation du baccalauréat, à améliorer sa pertinence en tant que diplôme sanctionnant les compétences acquises dans le secondaire et préparant l’accès à l’enseignement supérieur. Dans cette perspective, la réforme a également débouché sur une réforme de l’ensemble de l’enseignement secondaire deuxième cycle. Plus précisément, elle défend l’idée d’un enseignement et d’un apprentissage davantage centrés sur l’élève, en abordant trois axes :

Diversifier les programmes et les évaluations pour permettre le développement d’un éventail plus large de compétences. La note finale du nouveau baccalauréat reposera sur une combinaison d’évaluation sommative et de contrôle continu. L’évaluation sommative reposera sur cinq épreuves que les élèves passeront en première ou en terminale : français, philosophie, deux disciplines de spécialité choisies par les élèves et un « grand oral ». Le contrôle continu consistera en plusieurs épreuves (baccalauréat blanc) passées tout au long de l’année. Il est considéré comme ayant une valeur plutôt formative, qui prend en compte les résultats de l’élève pendant toutes ses années de lycée. 

Offrir plus de choix aux élèves et les familiariser avec l’apprentissage transdisciplinaire. En seconde, les élèves étudieront un tronc commun de disciplines comprenant le français, l’histoire et deux langues vivantes. En première, ils pourront choisir trois enseignements de spécialités sur douze, dont deux nouveaux enseignements transdisciplinaires – humanités et lettres classiques ; histoire, géographie et sciences politiques.

Aider et conseiller les élèves pour leur faciliter l’accès à l’enseignement supérieur. C'est un volet majeur de la réforme. Il est particulièrement important dans un contexte où environ 60 % des bacheliers échouent pendant leur première année d’études supérieures, souvent parce qu’ils n’ont pas choisi la bonne orientation et ne sont pas préparés pour aborder le champ d’étude qu’ils ont choisi. Avec la nouvelle réforme, les élèves du secondaire deuxième cycle bénéficieront de 54 heures par an de conseils sur leur orientation et leur préparation à l’enseignement supérieur. Le but est aussi de créer des connexions plus étroites entre l’enseignement secondaire deuxième cycle et l’enseignement supérieur, en alignant les programmes d’études et en prenant en compte, pour l’admission dans l’enseignement supérieur, les notes obtenues au baccalauréat. 

Comment la réforme a-t-elle été accueillie par le milieu enseignant ? 

Malgré ses objectifs prometteurs, la mise en œuvre de la réforme se heurte à des difficultés résultant de la dépendance vis-à-vis des choix antérieurs et de traditions anciennes solidement enracinées dans le système éducatif français.

Il n’a pas été facile de parvenir à un consensus et de convaincre les parties prenantes des avantages de la réforme. La complexité du secteur de l’éducation en France, la pluralité des acteurs intervenant dans sa gouvernance et la façon routinière de gérer et pratiquer l’enseignement rendent la mise en œuvre difficile. C’est pourquoi tout changement doit prendre en considération le contexte dans lequel fonctionne le système éducatif, ainsi que la capacité réaliste des enseignants et directeurs d’établissements à institutionnaliser la réforme. 

Le métier d’enseignant est profondément ancré dans l’identité disciplinaire, ce qui rend difficile la collaboration au développement des compétences pédagogiques et de l’enseignement transdisciplinaire. En France, comme dans d’autres parties du monde, il devient de plus en plus nécessaire de sensibiliser les enseignants à la nécessité de la collaboration pluridisciplinaire pour développer de réelles compétences pédagogiques. De même, il est important d’aider les enseignants à devenir de meilleurs mentors pour les élèves.

Quelles répercussions la réforme a-t-elle sur l'ensemble du système éducatif ? 

Une réforme d’une telle ampleur a des répercussions sur l’ensemble du système éducatif. Il faut impérativement prévoir des passerelles verticales et horizontales cohérentes dans l’ensemble du système éducatif, notamment entre les différentes filières : générale, technologique et professionnelle. Il faut également renforcer la cohérence des programmes d’études et des évaluations au sein des différents niveaux d’éducation et d’un niveau à l’autre. Enfin, il faut définir correctement les filières d’apprentissage et les compléter par de solides systèmes d’orientation et de conseil afin d’aider les élèves aux différentes étapes de leur parcours scolaire.

 

Regarder le débat stratégique de l'IIPE avec with Pierre Mathiot :