Technologies numériques et éducation : comment réaliser ces trois promesses non tenues

22 Décembre 2023

education-toys-800w-671h.png

©Getty Images Signature

Pablo Cevallos Estarellas, chef du Bureau régional de l'IIPE-UNESCO pour l'Amérique latine et les Caraïbes, présente certains défis abordés lors du Forum régional sur les politiques éducatives 2023. Cet article a été initialement publié par Infobae

Au cours des deux dernières décennies, les pays d'Amérique latine ont beaucoup investi pour intégrer les technologies numériques dans les systèmes éducatifs, sur la base de la conviction qu’elles amélioreraient l'éducation à travers trois dimensions :

  1. La première promesse était que les technologies numériques favoriseraient l'inclusion éducative des populations exclues, grâce à l'accès aux ordinateurs et à internet. 
  2. La deuxième promesse était que les technologies numériques contribueraient à améliorer les apprentissages des élèves grâce à l'utilisation de logiciels éducatifs.
  3. La troisième promesse, la moins connue, était que les technologies numériques faciliteraient la planification et surtout la gestion des systèmes éducatifs, grâce à la numérisation des processus scolaires et ministériels.

Toutefois, à de rares exceptions près, les résultats obtenus dans la région ont jusqu’à présent été décevants.

Analysons tour à tour ces trois promesses sur la base des recherches menées par l'IIPE-UNESCO en Amérique latine.

En ce qui concerne l'inclusion éducative, les technologies numériques portaient la promesse de jouer un rôle crucial pour réduire les obstacles à l'accès ainsi que l'abandon scolaire au sein des groupes traditionnellement exclus du système éducatif. Cependant, malgré les investissements réalisés, de nombreux pays sont encore confrontés à de profonds écarts dans l'accès à la technologie, avec des disparités socio-économiques et géographiques importantes et persistantes. En ce qui concerne la connectivité, la plupart des écoles ne sont toujours pas connectées, et celles qui le sont ont souvent une connexion de très mauvaise qualité.

Tout cela a contribué à aggraver l'inégalité paradoxale qui résulte de l'introduction des technologies numériques dans l'éducation dans presque tous les pays d'Amérique latine.

En ce qui concerne la deuxième promesse, de nombreuses personnes pensaient que l'utilisation des technologies numériques en classe pouvait améliorer les résultats d'apprentissage, même indépendamment des pratiques d'enseignement. Cependant, les données qui étayent cette croyance sont rares et peu concluantes, aucune preuve claire n'ayant été apportée sur les effets des technologies numériques dans l'enseignement. Cela peut être lié au fait que, comme le suggèrent les recherches menées au cours des dernières années, les technologies numériques ont souvent été utilisées en parallèle du renforcement des pratiques éducatives traditionnelles.

En ce qui concerne la troisième promesse, je voudrais souligner deux observations faites dans de nombreux pays d'Amérique latine. La première porte sur le progrès lent et inégal de la numérisation des processus de gestion des écoles. Les données les plus récentes indiquent que la plupart des écoles continuent à collecter des données sous forme physique. La deuxième observation concerne l'utilisation limitée ou inexistante des systèmes d'information sur la gestion de l'éducation (SIGE) pour améliorer la gestion des systèmes scolaires. En fait, de nombreux pays de la région ne disposent toujours pas de tels systèmes d'information. Dans les pays où ils existent, ils sont généralement à un stade embryonnaire de développement technologique et ne sont donc que rarement utilisés.

De tout ce qui précède, nous pouvons conclure que la simple introduction des technologies numériques dans l'éducation n'a pas, en soi, le pouvoir d'améliorer le système. Ce qui ne leur enlève évidemment pas ce potentiel. Ce sont les personnes au sein des équipes ministérielles chargées de l'élaboration et de la mise en œuvre des politiques éducatives qui ont la responsabilité de veiller à ce que les technologies numériques soient intelligemment intégrées dans les systèmes éducatifs, en connaissant parfaitement leurs limites et leurs biais, afin de déployer tout leur potentiel.

Pour discuter des moyens de parvenir à cette fin, plus de 300 personnes issues de 27 ministères de l'Éducation nationaux et régionaux d'Amérique latine et des Caraïbes ont participé à la dernière édition du Forum régional de l'UNESCO sur les politiques éducatives.

Au cours de l'événement, auquel ont également participé des experts de centres de recherche, d'agences internationales et d'organisations de la société civile, deux pistes ont été proposées pour revitaliser la relation entre la planification de l'éducation et les technologies numériques dans notre région.

La première piste consiste à développer des politiques numériques dans l'éducation, coordonnées au niveau national, pour que les technologies fassent partie intégrante des processus éducatifs et contribuent réellement à générer un impact positif, à la fois sur la portée de l’éducation et sur la qualité des apprentissages. Cela signifie, entre autres, de réformer les programmes scolaires, d'adopter de nouveaux modèles d'enseignement, de former le personnel enseignant et d’atteindre une hybridation globale de l'éducation. 

La deuxième voie vise à intégrer les technologies numériques dans la planification et la gestion de l’éducation afin d’améliorer son efficacité, sa transparence et sa qualité. Cela implique un large éventail d'actions, allant de l’utilisation du big data au développement de systèmes d'alerte précoce pour protéger les parcours scolaires.

En d'autres termes, alors que la première voie porte sur la manière d’intégrer les technologies numériques dans les processus d'enseignement, la seconde concerne le potentiel de ces technologies pour la planification et la gestion des systèmes éducatifs. Ces deux lignes d'action offrent des possibilités de s’alimenter mutuellement, créant un cercle vertueux qui peut renforcer leur impact.

Selon le rapport Planification de l'éducation et technologies numériques en Amérique latine récemment publié par l'IIPE-UNESCO, une approche de la planification de l'éducation qui combine des objectifs à court et à long terme, qui intègre une réponse agile et pragmatique aux besoins de gestion et une vision stratégique à plus long terme, est essentielle pour parvenir à des changements profonds et surtout pérennes. 

Pour garantir de tels avancées durables, il est fondamental d'élaborer des visions de l'éducation fondées sur le consensus le plus large entre les différents secteurs de la société, des visions qui permettent de définir des politiques d’État (au-delà des gouvernements actuels) pour garantir une éducation de qualité, inclusive et équitable pour tous, qui ne laisse personne de côté.