Vers plus de leadership féminin en planification : entretien avec la directrice de l’IIPE

07 Août 2017

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IIEP's Director Suzanne Grant Lewis at the 2017 commencement ceremony for the ATP.
IIEP-UNESCO
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IIEP's Director Suzanne Grant Lewis at the 2017 commencement ceremony for the ATP.

À l’occasion de l’Université d'été destinée aux femmes en charge de la planification de l’éducation qui a lieu fin août, Suzanne Grant Lewis, directrice de l'IIPE, nous fait part de ses réflexions sur les raisons pour lesquelles il faut accorder de l’attention aux capacités techniques des femmes.

 

Derrière les écoles pleines de vie, les salles de classe et les piles de manuels scolaires se trouvent les planificateurs et gestionnaires de l'éducation. Ces personnes d’une importance cruciales aident les gouvernements à prendre des décisions politiques qui influent sur l'avenir des élèves et étudiants et les aident à attribuer les ressources des États. Que se passe-t-il lorsque les postes de planification et de gestion de l'éducation sont principalement occupés par les hommes?

L'expertise et les connaissances de la moitié de la population restent inexploitées. Et les implications sont profondes non seulement pour les systèmes éducatifs, mais aussi dans le statut des femmes et de la société en général.

La directrice de l'IIPE, Suzanne Grant Lewis, explique pourquoi il est important de plus impliquer les femmes en tant que leaders, et revient sur son propre parcours professionnel.

L'IIPE organise cette année une Université d'été pour les femmes en charge de la planification. Pourquoi l'Institut s’engage-t-il dans cette voie ?

SGL: Historiquement, nous savons qu'il existe un phénomène de « tuyau percé » concernant les femmes qui travaillent dans ce domaine. Bien que l'enseignement soit souvent considéré comme un point d'entrée dans le secteur de l'éducation, peu de femmes ont la possibilité de venir grossir les rangs des personnels techniques et administratifs qui travaillent à la planification et à la gestion. Cette Université d'été fait partie de notre réponse à la promotion de l'égalité entre les sexes dans la prise de décision, la planification et la gestion de l'éducation. En renforçant les capacités techniques et de leadership des femmes en charge de la planification, nous espérons leur ouvrir de nouvelles opportunités et qu’elles deviendront des leaders et des agents du changement dans leurs environnements professionnels. En perfectionnant leurs compétences techniques, elles pourront également avoir un rôle plus proactif dans la mise en œuvre et le suivi de l'objectif de développement durable pour l'éducation, l’ODD4.

Quelles sont les grandes figures de l'éducation d’aujourd'hui, et quelle place y est faite aux femmes ?

SGL: Depuis le début de ma carrière, j’ai pu observer des changements considérables concernant les femmes ayant des postes de direction dans l'éducation. Je me souviens de la création de FAWE (Forum for African Women Educationalists), le Forum pour les éducatrices africaines, en 1992. À l'époque, il y avait cinq femmes ministres africaines de l'éducation : Vida Amaadi Yeboah (Ghana), Simone de Comarmond (Seychelles), Paulette Missambo (Gabon), Fay Chung (Zimbabwe), et Alice Tiendrebéogo (Burkina Faso). FAWE a d’abord consacré son action au plaidoyer pour que l'éducation des filles figure dans les programmes politiques nationaux et internationaux. Aujourd'hui, le Forum compte 33 sections nationales.

Cela dit, au niveau mondial les progrès sont assez inégaux. L'UNESCO, l'agence spécialisée des Nations Unies chargée de promouvoir par l'éducation la paix et la sécurité dans le monde, n’a élu sa première femme directrice générale, Irina Bokova, qu’en 2009. Et ici en France, la première femme ministre de l'Education a été nommée en… 2014. Je suis contente que la première femme secrétaire à l'Éducation dans mon pays, les États-Unis, ait été nommée en 1979 par le président Carter.

Dans le monde entier l'afflux de femmes dans l'enseignement a été la clé de l'expansion de l'éducation, permettant l'élargissement de l’éducation primaire et la parité hommes-femmes dans de nombreux pays. Cependant cette transition a souvent été accompagnée par des hommes qui quittaient l'enseignement pour des emplois mieux rémunérés, tandis que d’autres continuaient à occuper très majoritairement les postes d'enseignement secondaire et supérieur. La féminisation de la force enseignante du primaire a contribué à la baisse du statut de la force enseignante à mesure que la perception par la société du «travail des femmes» était ajustée. C’est encore plus évident dans les premières années du primaire. Il est également regrettable qu’il n’y ait pas beaucoup de femmes cheffes d’établissements.

Dans sa recherche, l'IIPE a utilisé le terme « labyrinthe » pour décrire les chemins que les femmes doivent parcourir pour atteindre les postes de direction. Quels sont les principaux obstacles qu’elles rencontrent aujourd'hui ?

SGL: Ce terme de « labyrinthe » se réfère à un ensemble complexe d'obstacles, formels et informels, qui limitent l'accès des femmes aux niveaux supérieurs du système éducatif. Ceux-ci se présentent dans leur cadre professionnel aussi bien qu’ailleurs. Au travail, les obstacles sont notamment les structures et les politiques d’organisation, qui peuvent promouvoir ou décourager les femmes, les processus informels d'embauche et de promotion, ainsi que les comportements et les moyens de travail qu'une culture d’entreprise valorise et récompense. Bien sûr, les rôles attribués aux femmes et aux hommes sur le plan social existent en dehors du lieu de travail et sont eux aussi influents. Si une société valorise les responsabilités domestiques des femmes par rapport aux responsabilités professionnelles, les signaux sont clairs pour les elles. C'est une bataille difficile qui s’engage pour concilier les attentes de la société avec les ambitions professionnelles des femmes.

Dans la plupart des pays, les femmes continuent d'avoir plus de responsabilités que leurs compagnons à la maison et la division du travail n'a pas changé. Mais on s'attend généralement à ce que la femme, plutôt que la société ou les employeurs, se débrouille pour équilibrer ses responsabilités professionnelles et domestiques. Cela n'a pas beaucoup de sens quand on sait l'importance du travail des femmes pour la croissance économique, leurs contributions intellectuelles et leur rôle unique dans la perpétuation de la société. Au lieu de s'adapter pour permettre aux femmes d'augmenter leur potentiel et être plus efficaces, le monde du travail attend d’elles qu’elles s’adaptent et résolvent cette équation.

Mais la recherche montre ce qu'il faut faire. Les lois antidiscriminatoires sont d'une grande importance, et les gouvernements comme les entreprises sont responsables de leur application. Il est important d'assurer des procédures de recrutement et de promotion plus transparentes. La discrimination positive peut aider à assurer une masse critique de femmes afin que la culture d'une organisation puisse changer. De génération en génération, on peut voir des progrès dans la construction d'environnements de travail mieux adaptés à la famille.

En tant que femme et directrice, à quoi ressemble votre parcours ? Comment avez-vous surmonté les différents obstacles que vous avez rencontrés ?

SGL: Mes parents ont eu sept enfants, et pour eux l’éducation était de la plus haute importance. Les cinq aînés sont des filles, les deux derniers des garçons. Mon père était féministe, nous enseignant que nous pouvions devenir tout ce que nous voulions à condition de travailler dur. Il nous a appris à nous exprimer en public, nous a appris à nous occuper des autres et aussi à ne pas en tirer avantage. Je me souviendrai toujours de la façon dont il m'a aidée à me préparer à des entretiens d’embauches alors que j’étais jeune. "Ne dis jamais que tu sais taper à la machine", m’a-t-il conseillé. "Regarde la personne dans les yeux, aies une poignée de main ferme, et prépare bien chaque réunion."

J'ai occupé beaucoup de postes différents dans ma carrière. Et au fil du temps, j'ai appris ce à quoi je suis bonne, ce pour quoi je lutte et ce qui me donne le plaisir du travail accompli. Il m'a fallu beaucoup de temps pour me rendre compte que le vieil adage "suis ta passion" s’appliquait à moi aussi. Beaucoup de temps aussi pour apprendre à ne pas agir en fonction des la reconnaissance que je pourrais en tirer. Cela m'a amenée à travailler dans le milieu universitaire, où j'ai apprécié les aspects de l’enseignement, le travail avec les étudiants, mais aussi à diriger le Partnership for Higher Education in Africa (Partenariat pour l'enseignement supérieur en Afrique), une initiative conjointe de sept fondations privées américaines qui vise à renforcer les universités africaines. Les fondations étaient dans la lumière et j'étais la coordinatrice, agissant en coulisses, veillant à ce qu’elles apprennent les unes des autres. Je me suis rendu compte que je n'avais pas besoin d'être sur le devant de la scène. J’étais là pour soutenir le bon travail des autres et c’est à mes yeux le rôle d'un gestionnaire.

Quelles leçons tirez-vous de cette expérience qui pourraient aider les femmes qui tentent de faire progresser dans leur carrière?

SGL: Tout d'abord, il faut être à l’écoute et donner un sens aux perspectives des autres. Ensuite, beaucoup de femmes qui deviennent des leaders sont ambitieuses, mais il est important de se rappeler que l’on ne peut pas résoudre les problèmes des autres. Cependant, on peut les aider à les comprendre et cela est très important pour un leader. Enfin, il faut écouter ses passions. Et si on se retrouve dans l’impasse il est nécessaire de prendre le temps de réfléchir, puis de s’organiser pour remédier à la situation.

En ce qui concerne spécifiquement la planification et la gestion de l'éducation, pourquoi est-il important que des femmes soient à des postes de direction ?

SGL: La planification et la gestion sont fondamentalement des questions de choix et d'allocation de ressources, et il est important que des femmes et des hommes aient ce genre de responsabilités. S’ils ne sont pas aussi puissants que les ministres, les planificateurs et les gestionnaires de l'éducation conseillent les leaders politiques et jouent un rôle très important dans la traduction des décisions politiques en actions. Les femmes devraient être mises à profit pour leurs compétences et leur perspicacité dans ce type de décision.

Cela a-t-il une sorte d'effet d’entraînement ? En d'autres termes, comment cela affecte-t-il l'égalité des sexes dans l'éducation?

SGL: Cela peut aider à la normalisation des femmes en tant que leaders. Avoir des femmes dans de vraies positions de leadership est important pour aider à construire une société plus équitable entre les hommes et les femmes. Il est également important de noter que si la campagne sur l'éducation des filles a été principalement dirigée par des femmes, il ne faut pas s'attendre à ce que les femmes représentent uniquement les femmes et les filles dans l'éducation. Il incombe à chacun, hommes et femmes, de promouvoir l'égalité entre les sexes. Nous avons besoin d'avocats pour les filles et les femmes parce que les intérêts masculins sont, eux, largement représentés. Les femmes, pour défendre les femmes, sont puissantes parce qu’elles peuvent parler à partir d’une expérience personnelle.

 

Cliquez ici pour plus d'informations (en anglais) sur l'Université d'été de l'IIPE: politique, planification et leadership pour un développement durable de l'éducation.