« chacun d’entre nous pourrait être réfugié »

20 Juin 2022

capture.png

IIEP-UNESCO and Education Development Trust/Makmende Media
Leticia Ainembabazi, enseignante dans l'ouest de l'Ouganda, dans le camp de réfugiés de Nakivale, en train de lire avec un élève, dans le court-métrage We Teach Here.

We teach here est une série de courts métrages sur la vie d'enseignants travaillant auprès des réfugiés en Éthiopie, au Kenya et en Ouganda. Certains de ces professeurs sont eux-mêmes réfugiés. D'autres sont issus du pays d’accueil et enseignent aux réfugiés. Tous sont membres de communautés touchées par la crise et les déplacements de populations. We teach here s’intéresse à ces personnes qui continuent à enseigner quoi qu'il arrive, où que ce soit. Ce sont leurs histoires : la vie qu'ils mènent et les défis auxquels ils font face.

Produits par Education Development Trust et l'IIPE-UNESCO, ces films font partie du projet de recherche sur la gestion des enseignants auprès des réfugiés dans plusieurs pays. Récemment, des enseignants du camp de réfugiés de Nakivale, dans l'ouest de l'Ouganda, ont été interviewés par nos partenaires dans le pays – le Centre pour l'éducation des adultes Eight Tech Company – et Makmende Media. De ces rencontres est né le troisième film de notre série. Betty Namagembe et Drake Mirembe, de Eight Tech, ont joué un rôle clé dans la recherche et ce film. Ce sont eux qui en parlent le mieux.  

IIPE : comment ont été choisis les trois enseignants interviewés ? 

Betty Namagembe : Il s'agissait d'identifier des enseignants représentatifs des trois catégories principales identifiées par les travaux de recherche : un enseignant du pays qui vit loin du camp de réfugiés où il enseigne et se bat avec la logistique pour se rendre au travail, un second qui a trouvé des moyens innovants pour continuer à enseigner pendant la pandémie de COVID-19, et enfin un enseignant réfugié qui a dû trouver des solutions aux barrières linguistiques et culturelles. 

IIPE : Qu'espérez-vous que les gens retiennent de ce film ?

Drake Mirembe : Dès sa conception, nous avons essayé de mettre en lumière la vie quotidienne de ces enseignants, et comment ils ont inventé les moyens de continuer à soutenir les élèves pendant la pandémie.

J'espère que les gens retiendront les obstacles qu’ils ont dû franchir, mais aussi toute l’ingéniosité qu’ils ont déployée pour offrir des services éducatifs et de l'espoir aux réfugiés dans cette partie du monde. 

C'est une véritable leçon d'humilité de voir le dévouement de ces enseignants. Je souhaite sincèrement que ce film suscite l'intérêt des différentes parties prenantes, qu'il s'agisse d'acteurs étatiques et non étatiques ou de partenaires du développement, et qu'il les incite à réfléchir à la manière dont nous pouvons offrir une éducation de qualité aux réfugiés dans différentes régions du monde. C'est important car chacun d’entre nous pourrait un jour être dans leur situation. Chaque fois que je m’assieds à mon bureau je pense à ce que vivent les gens en Ukraine. C'est là encore une leçon d'humilité, car c’est toute une société démocratique florissante qui se retrouve à fuir la guerre en laissant tout derrière elle.

Namagembe : Lorsque ce film sortira, j’espère qu'on comprendra mieux ce que cela signifie d'enseigner dans les camps de réfugiés et les pratiques pédagogiques uniques développées par ces professeurs. Par exemple, on y verra qu’ils doivent apprendre différentes langues pour parvenir à enseigner. De plus, ils développent ces pratiques uniques tout en vivant dans des conditions très dures. Et ils sont toujours motivés pour être en classe avec leurs élèves ! En bref, j'espère que le monde saisira ce qu'ils traversent, leurs pratiques d'enseignement uniques et la motivation constante dont ils font preuve dans des conditions difficiles. 

IIPE : Pourquoi avons-nous besoin d'entendre davantage la voix des enseignants, surtout dans un tel contexte ? En quoi ce film est-il un outil de diffusion important ?

Mirembe : Les enseignants qui racontent leur histoire apportent de l'authenticité aux questions que nous étudions, ils leur donnent vie. Et cette authenticité faire appel aux valeurs morales des différentes parties prenantes qui, nous l'espérons, entendront cette histoire. En effet, le but ultime est de mettre en lumière les interventions en matière de gestion des catastrophes et de motivation dans les contextes de réfugiés. Je crois que l'élément fondamental est qu'ils porteront indubitablement mieux ce message que vous et moi le pourrons jamais.

IIPE : D'après votre expérience du tournage de ce film, quel conseil donneriez-vous aux gouvernements ou aux institutions qui travaillent sur ces questions ?

Namagembe : Pour les principales parties prenantes comme les gouvernements, les partenaires du développement et les ONG, il est bon de tirer parti de recherches comme celle-ci, qui mettent en évidence ce qui se passe sur le terrain dans les écoles. Ils peuvent utiliser les résultats et les recommandations qui en découlent pour intervenir et mettre en œuvre des politiques. 

Mirembe : Fondamentalement, nous avons observé que parfois nos politiques, de l'élaboration à la mise en œuvre, n’ont pas suffisamment de réalité contextuelle. Mon sentiment est que cette étude et le film aideront les décideurs politiques à mettre en contexte leur impact à différents niveaux d'intervention. Par exemple, il existe peu d'interventions axées sur l'intégration des TIC dans les contextes de réfugiés, alors que nous savons avec certitude que ce sont des outils essentiels dans l'économie numérique mondiale fondée sur la connaissance. Cette fracture numérique que connaissent les réfugiés réduit leurs chances de progresser dans la vie et d'atteindre leur plein potentiel. Nous espérons que c’est le genre d’information qui éclairera non seulement l'élaboration des politiques, mais aussi la mise en œuvre et la conception de programmes par les différentes parties prenantes.

IIPE : Quel est votre message au monde en cette Journée mondiale du réfugié ?

Mirembe : Mon message au monde – et je parle en tenant compte du contexte dans lequel nous sommes – est que je constate que les piliers sur lesquels s’appuie la coexistence pacifique dans le système multilatéral mondial sont en train de s'éroder. De ce fait, chacun d’entre nous pourrait à son tour être réfugié. J'appelle les décideurs et les dirigeants de tous niveaux à élaborer et à mettre en œuvre des politiques qui offrent des chances égales à ces réfugiés afin qu'ils atteignent leur plein potentiel. La plupart d'entre eux sont victimes de cette situation, ils n’en sont pas responsables et n'ont pas le pouvoir de la changer.

Namagembe : Mon message aux différentes parties prenantes, en particulier aux partenaires de l'éducation dans les camps de réfugiés, est d’entendre le type de travail qu'ils font, mais aussi de travailler ensemble pour créer un environnement accueillant pour les réfugiés. De même, les enseignants qui travaillent dans les camps doivent recevoir plus de considération, car ils deviennent souvent un peu des parents pour leurs élèves qui ont traversé des situations traumatisantes. Les parties prenantes, y compris les gouvernements et les partenaires du développement, devraient soutenir ces enseignants, mieux les aider afin qu'ils puissent eux continuer à soutenir les élèves.

Ces enfants, quel que soit leur avenir, ont un rôle à jouer dans le monde, où qu'ils soient. Non seulement dans les pays où ils sont, mais aussi dans les pays d'où ils viennent.

Le film complet sort en septembre. We teach here est soutenu par Dubai Cares et le Réseau inter-agences pour l'éducation en situation d'urgence (INEE), via leur fonds de recherche Evidence for Education in Emergencies (E-Cubed).