Qualité de l’éducation : retour sur six années de transformation durable des pratiques professionnelles

15 Mai 2024

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©UNESCO/Emily Pinna

Pour que chaque enfant sorte de l’école primaire avec un seuil de compétences de base, l’Institut international de planification de l’éducation de l’UNESCO (IIPE-UNESCO Dakar) a lancé, en 2018, un programme d’appui au pilotage de la qualité en Afrique subsaharienne. Une démarche innovante incluant tous les échelons du système éducatif, avec des acteurs qui identifient eux-mêmes les points faibles et les points forts de leurs pratiques professionnelles et sont accompagnés vers une transformation durable.

Que tous les élèves achèvent l’école primaire en sachant lire, écrire, compter : cette ambition, l’Afrique subsaharienne est encore loin de l’avoir atteinte. Actuellement sur le continent, 70 % des enfants ne savent pas lire et comprendre un texte simple à l’âge de 10 ans1. L’extraordinaire vague de scolarisation amorcée dès le début des années 2000 n’a malheureusement pas été suivie d’une hausse des niveaux scolaires en dépit des efforts gouvernementaux pour une éducation de base de qualité.

Face à l’urgence d’améliorer l’action éducative, l’IIPE-UNESCO Dakar a mis en œuvre dès 2018 un programme d’appui au pilotage de la qualité en Afrique subsaharienne, avec le soutien de l’Agence française de développement (AFD). Un programme qui interroge les réalités éducatives pays par pays, en identifiant, à la source, les difficultés responsables des faibles performances des élèves, à tous les niveaux du système éducatif. Actif dans douze pays africains, ce programme novateur a œuvré pour l’élaboration de solutions concrètes visant la transformation durable des pratiques professionnelles. Les phases de diagnostic, la formulation des pistes d’action et les expérimentations de solutions ont toutes été menées main dans la main avec ceux qui « font » l’école au quotidien.

C’est une véritable méthode qui a été créée ; et  celle-ci se refuse à proposer des solutions conçues sur la base de simples recommandations, déconnectées des contextes et du vécu des acteurs locaux. Au contraire, les solutions ont été construites de l’intérieur, avec ceux qui connaissent les véritables contraintes.

- Patrick Nkengne, Responsable du Programme d’appui au pilotage de la qualité à l’IIPE-UNESCO

Une prise de conscience des difficultés... mais aussi des opportunités

Pilier de cette méthode : une première phase cruciale en immersion, appelée « diagnostic », dont six pays de la région ont pu bénéficier (Burkina Faso, Burundi, Madagascar, Niger, Sénégal et Togo). Cette plongée sur le terrain a été à chaque fois conduite par les acteurs de l’éducation eux-mêmes. Des cadres de tous les échelons de l’Éducation nationale du pays, désignés par les autorités locales, pour travailler avec l’accompagnement d’experts internationaux de la qualité de l’éducation. Ils ont passé plusieurs semaines en observation dans une dizaine d’écoles primaires de leur pays, mais aussi dans les services déconcentrés tels que les inspections d’académie, et au sein de l’administration centrale de leur ministère de tutelle.

Focus sur trois problématiques éducatives clefs communes à de nombreux pays

  1. Manque d’utilisation des données issues des évaluations. Dans tous les pays accompagnés, les données quantitatives et qualitatives recueillies grâce à l’évaluation des apprentissages ne sont généralement pas analysées, alors qu’elles seraient utiles pour la conception de politiques éducatives adaptées aux réalités locales. L’inexploitation de ces données est un problème concret sur lequel il est possible d’agir.
  2. Manque d’accompagnement pédagogique. Les enseignants souffrent du peu d’accompagnement de leur hiérarchie. Les inspecteurs qui les encadrent, trop peu nombreux et dont les visites en classe sont logiquement rares, déplorent cette situation liée, entre autres causes, à une trop grande charge de travail.
  3. Manque de reconnaissance des initiatives locales. Les innovations locales sont souvent mal identifiées et peu promues au sein du système. Issues du terrain, elles répondent pourtant avec pertinence aux problématiques vécues par les acteurs.

Cette phase d’analyse diagnostique représente un travail colossal de prise de conscience des difficultés et des opportunités propres au système éducatif des pays. Entre chaque période en immersion, des temps d’échange étaient d’ailleurs prévus pour comparer les constats sur le terrain, les valide, et les partager avec des dizaines d’autres écoles de différentes inspections. Ce n’est qu’une fois toutes ces étapes achevées que des problématiques liées à l’éducation sur le terrain ont été formellement identifiées. L’apport du programme a été de comprendre pourquoi les pays ont du mal à répondre à ces problématiques et de révéler des leviers à partir desquels des solutions peuvent être construites.

Coconstruire et expérimenter des solutions : gros plan sur trois interventions inédites

L’analyse approfondie des pratiques éducatives n’a de sens que si elle suscite un changement durable. À partir du diagnostic réalisé et des obstacles rencontrés, des propositions d’améliorations ont donc été formulées. Avec l’appui de l’IIPE-UNESCO, trois de ces pistes ont ensuite été expérimentées par les acteurs du système éducatif, sous la forme d’interventions en environnement restreint.

1re expérimentation : Les données, mine d’information sur la qualité de l’éducation

Au Niger, où le niveau des élèves inquiète, les équipes en immersion ont réalisé qu’aucune utilisation n’était faite des données scolaires collectées (statistiques, résultats d’évaluations et différents rapports), alors que cellesci pourraient livrer un tableau précis des difficultés, fort utile pour élaborer des dispositifs pédagogiques adaptés aux besoins. Une expérimentation a donc été menée dans deux communes pilotes du Niger, où les données scolaires ont été analysées pour identifier les difficultés prioritaires au cours de journées de dialogue sur l’éducation nommées Shawara Karatu. À l’occasion de ces rencontres, une variété d’acteurs ont été réunis au niveau de la localité, tels que les inspecteurs, directeurs d’école, chargés d’évaluation, mais aussi les agents de mairie, les élus locaux, les associations et les chefs de village ou religieux. Lors de l’expérimentation, ces acteurs ont identifié les écoles les plus en difficultés de leur commune et défini ensemble des actions réalisables à court terme pour améliorer l’offre éducative. Deux à trois fois par an, une nouvelle rencontre doit être organisée pour évaluer l’efficacité des changements mis en place et en proposer de nouveaux.

Avec les journées Shawara Karatu, nous avons identifié toutes les écoles en difficulté, et dans ces écoles, toutes les classes en difficulté, surtout dans les matières fondamentales. Partager avec la communauté est important pour qu’elle sache ce qui se passe au niveau de chaque école. Une fois les résultats partagés, tout le monde peut agir.

- Souleymane Aliou, Inspecteur pédagogique de l’enseignement primaire de N’dounga, Niger

Des améliorations sont d’ores et déjà visibles, notamment avec la révision et l’allègement de la fiche de transmission des données, visant à minimiser les risques d’erreurs lors de la diffusion. Une réflexion approfondie est aussi en cours concernant les causes de l’échec scolaire au sein de la commune, mettant l’accent sur la diminution des performances des élèves de cinquième année, notamment des filles. Ces efforts démontrent un effet catalyseur des journées Shawara Karatu sur l’engagement des acteurs envers l’amélioration du système éducatif local.

2e expérimentation : Travail en groupe des élèves : petite innovation mais grand potentiel

Face aux difficultés, les acteurs éducatifs font souvent preuve de résilience et de créativité. Certains enseignants imaginent des solutions susceptibles d’être utilisées comme leviers d’action pour améliorer la qualité de l’offre éducative sur l’ensemble du territoire. C’est le cas au Niger, où une pratique locale portant ses fruits a été découverte lors des périodes d’immersion dans le système éducatif local. Certaines écoles montent des ateliers de micro-enseignement tutoré. Il s’agit de petits groupes de travail, avec un élève volontaire et performant pour encadrer ses camarades autour de thématiques que l’enseignant souhaite approfondir. Une idée concrète pour que les élèves disposent de plus de temps d’apprentissage et pour les motiver grâce à  « l’effet de pair ». Une expérimentation a donc été imaginée, consistant à promouvoir cette innovation locale, afin qu’elle puisse potentiellement intégrer l’ensemble du système éducatif nigérien. Pour ce faire, deux écoles normales d’instituteurs du Niger – formatrice des futurs enseignants – se sont appropriées la pratique et l’ont transformée en méthode destinée aux futurs enseignants, en l’adaptant à l’apprentissage de la lecture en classe de 3e année du primaire, qui pourrait, si besoin, être utilisée partout dans le pays et dans les meilleures conditions possibles. 

L’ateliers de micro-enseignement tutoré est une solution aux difficultés des enseignants car elle favorise le travail en autonomie et la collaboration entre élèves. C’est aussi utile pour un enseignant qui se retrouve avec des profils très variés au sein d’une même classe et peut ainsi diviser les élèves en petits groupes de travail.

- Idrissa Moussa, Directeur des études à l’École normale d’instituteurs de Niamey, Niger

Grâce au programme de l’IIPE, les autorités nigériennes ont pris conscience de l’existence de cette pratique éducative prometteuse qui suscite l’engouement des élèves. Cette initiative a désormais reçu une validation officielle et une réflexion est en cours en vue de sa future généralisation.

3e expérimentation : Mieux accompagner les enseignants peut influencer les résultats des élèves

Les périodes d’immersion dans le système scolaire du Sénégal ont montré le peu d’accompagnement pédagogique des enseignants. Ceux-ci ont pourtant la plus grande part à jouer dans le renforcement des acquis des élèves. À l’origine du problème, il y a notamment la manière de faire des inspecteurs, jugée trop directive et prenant très peu en compte les besoins de leurs collègues des écoles.

Actuellement au Sénégal, il existe deux dispositifs d’accompagnement des enseignants. Soit l’inspecteur va visiter une école, ce qui est rare car il est surchargé de travail, soit il convoque plusieurs enseignants au sein d’une cellule d’animation pédagogique pour aborder des thématiques spécifiques. Dans les deux cas, ces dispositifs ont un impact limité sur l’amélioration des compétences des enseignants.

- Émilie Martin, Analyste des politiques éducatives au sein de l’IIEP-UNESCO Dakar

Pour trouver des pistes de solutions à cette problématique, des inspecteurs et directeurs d’école volontaires de l’académie de Thiès (ouest du pays) ont été invités à effectuer des exercices d’auto-analyse de leur pratique professionnelle. Ils se sont notamment filmés au travail et les images ont été visionnées et analysées entre pairs. Cet exercice a permis à ces encadreurs de se questionner et d’envisager par euxmêmes une évolution de leurs pratiques vis-à-vis des enseignants, d’échanger des conseils et de tester des solutions sur leur lieu de travail. L’auto-analyse des pratiques a déjà eu un fort impact chez les participants à l’expérimentation, qui ont revu leur manière d’encadrer et d’accompagner les enseignants.

Changer l’école de demain

Actuellement, les équipes de l’IIPE-UNESCO à Dakar et les Instituts nationaux de formation des personnels de l’éducation du Burundi, du Sénégal et du Togo s’attellent à la création de modules de formation au pilotage de la qualité destinés aux personnels d’encadrement du secteur de l’éducation, afin qu’ils aient les compétences pour identifier par eux-mêmes les véritables difficultés sur le terrain. Les expérimentations ont, quant à elles, à chaque fois été suivies d’une réflexion sur une possible généralisation à l’ensemble du système éducatif local, avec notamment la constitution de comités de suivi et des recommandations aux décideurs politiques. Enfin, pour que cette expertise bénéficie au plus grand nombre, les grandes réussites du programme seront partagées dans d’autres pays de la région.